Marais de l’ouest

Les agriculteurs face aux contradictions des politiques publiques

 

Espaces naturels n°2 - avril 2003

Le Dossier

Patrick Steyaert
INRA-SAD domaine expérimental


Malgré les mesures financières destinées aux agriculteurs et visant à protéger les zones humides, les exploitations agricoles tendent à s’agrandir et assèchent des milieux. Les aides publiques agricoles expliquent en grande partie ces orientations intensives, le système de politique agricole commune étant surdéterminant par rapport aux aides agri-environnementales et aux mesures diverses1 de conservation des zones humides.

De nombreuses terres, en zones humides, sont exploitées par des agriculteurs : cette catégorie professionnelle est donc placée au cœur des enjeux de conservation. Or, durant les quarante dernières années, l’évolution de ces exploitations est marquée par des stratégies d’intensification et d’agrandissement. Cela se traduit par l’assèchement de ces milieux pour y implanter des cultures de vente et des cultures fourragères, plus productives que les prairies naturelles. Tandis que le système des aides agricoles se maintient à un niveau très élevé, des mesures financières incitatives visant à protéger la nature sont mises en œuvre depuis bientôt dix ans (mesures agri-environnementales). Une question est alors de savoir quel est l’effet de ces politiques sur l’évolution des exploitations agricoles et sur les choix de production des agriculteurs.
La zone d’étude concerne les marais de l’ouest, où la mise en culture après drainage a transformé l’occupation des sols au détriment des prairies permanentes. Cette évolution résulte d’un choix stratégique des agriculteurs qui modifient en profondeur et sur le long terme les systèmes de production de leur exploitation : le stade ultime de cette évolution est l’abandon total des activités d’élevage au profit des grandes cultures.
Une analyse de plus de 550 exploitations utilisant des surfaces agricoles en marais a montré que leurs trajectoires d’évolution durant la phase d’application des opérations locales agri-environnementales (1992-1998) étaient restées identiques à celles observées avant la politique agricole commune de 1992. Pour comprendre pourquoi des mesures spécifiques visant au maintien des prairies de marais n’ont pas infléchi les orientations sur le long terme, nous avons réalisé une analyse des aides à l’agriculture pour deux secteurs de marais, ainsi qu’une étude détaillée du revenu pour un échantillon d’exploitations. Les résultats montrent que les montants des aides aux surfaces en herbe s’élèvent en moyenne au tiers de ceux des surfaces en culture et que le revenu des éleveurs augmente avec l’accroissement de la part des cultures de vente dans la surface agricole utile ou avec la diminution des prairies sur la surface fourragère totale. Ces résultats indiquent les limites d’une politique environnementale conçue en marge de la PAC, comme un ajustement de celle-ci en faveur d’objectifs de conservation des zones humides. Cela pose aussi la question de la capacité des politiques publiques à modifier les stratégies des acteurs, dès lors qu’elles sont conçues de manière sectorielle et qu’elles ne visent pas les mêmes objectifs. Ces contradictions entre politiques publiques qui se manifestent dans leur application territoriale génèrent des incertitudes qu’il conviendrait de lever pour créer des conditions plus favorables aux évolutions agricoles souhaitées.

1. Natura 2000, loi sur l’eau…, ou encore mesures d’ajustement de la PAC telles les mesures agri-environnementales, règlement de développement rural européen, contrats territoriaux d’exploitation…