Marais littoraux tropicaux

Un héron et un caïman qu’on n’attendait pas

 

Espaces naturels n°2 - avril 2003

Le Dossier

Daniel Guiral
Laboratoire d’écologie littorale. IRD Cayenne

 

Une retombée scientifique majeure et assez inattendue du programme de recherche sur les marais tropicaux en Guyane réside dans la découverte d’une mare constituant une aire de reproduction pour diverses espèces d’oiseaux d’eau dont des hérons sud-américains très rares, nocturnes, et donc très mal connus.

Ceinturé par des falaises très abruptes, par des forêts marécageuses et impénétrables, par des vasières très instables, le cœur du marais est inaccessible par la mer et par voie fluviale et terrestre. Ainsi, l’essentiel de la zone humide de Kaw-Roura est resté quasiment vierge de toutes connaissances scientifiques jusqu'à une période très récente. Or, dans la continuité des opérations de recherche du PNRZH, une plate-forme flottante a été héliportée le 4 décembre 2001. Elle a ainsi été déposée dans une mare isolée et permanente du marais.
Les travaux de recherche et d’inventaire ont alors montré le caractère exceptionnel de cette mare. « Nous avons identifié plusieurs espèces végétales nouvelles pour la Guyane, dont une probablement aussi pour la science. Nous avons également recensé une population de plus de 100 caïmans noirs. En effet, quatre espèces de caïmans coexistent dans le marais et les rivières drainant la Montagne de Kaw. Or le caïman noir constituerait ici l’une des dernières populations au monde encore en équilibre et donc viable. Au plan ornithologique, 86 espèces ont été observées dont une nouvelle espèce pour la Guyane Laterallus melanophaius. En outre, la forêt inondée qui limite la mare correspond à un site pour la nidification des hoatzins : une espèce unique en son genre avec un régime alimentaire tout à fait original pour un oiseau. L’hoatzin est folivore. Il consomme exclusivement des feuilles d’arbre qu’il prédigère selon des modalités proches des ruminants. Mais, surtout, les recherches ont révélé la présence de divers ardéidés, dont le très rare héron agami. En avril 2002, plus de 800 couples nicheurs ont été dénombrés. Cette concentration constitue la première zone identifiée au monde pour la reproduction de ce héron forestier pour lequel, compte tenu de sa rareté, il n’existe aucune information sur la biologie et l’écologie.
Par ailleurs, parce que cette mare demeure en eau toute l’année et quelle est fertilisée par les déjections des oiseaux nicheurs, les caïmans noirs et les poissons la peuplent en permanence avec des effectifs variables en fonction des saisons. Au cours de la saison des pluies, à l’occasion de la montée du niveau des eaux, les populations de juvéniles se dispersent à l’échelle de l’ensemble de la zone humide. Cette mare, foyer de dissémination, pourrait ainsi assurer la restauration de la biodiversité des zones accessibles du marais. Les populations de ces secteurs ont été très affectées par des prélèvements incontrôlés, mais ils bénéficient maintenant d’un statut de réserve naturelle et de parc naturel régional qui a été très récemment donné à l’ensemble du marais. Cette reconquête contribuerait à la sauvegarde d’espèces particulièrement remarquables et emblématiques qui, à l’échelle de la zone amazonienne, évoluent vers une probable et irréversible disparition.