La Suisse protège ses milieux secs

 
Vu ailleurs

Gaby Volkart
Marina Magnin

Attendue pour 2010, une ordonnance fédérale renforce la protection des milieux secs helvétiques. Des milieux uniques en l’arc alpin qui abritent de nombreuses espèces menacées à l’échelle européenne. Près de 23 000 ha figurent désormais dans l’inventaire national.

La Suisse a perdu 90 % de ses milieux secs au cours du 20e siècle. Les changements structuraux intervenus dans l’agriculture ont, en effet, entraîné un très important recul des prairies et pâturages secs.
En 1995, le sommet de Rio puis la Convention sur la biodiversité amènent la Confédération helvétique à lancer un projet national en faveur de ses prairies et pâturages secs menacés. Aujourd’hui, quinze ans plus tard, leur inventaire scientifique est enfin disponible.
Celui-ci constitue un outil sans précédent en matière de volume et de précision des données. Plus de quarante cartographes ont participé à son élaboration. Ils ont parcouru près de 200 000 ha, et consacré pas loin de 5 000 journées de travail.
22 941 ha ont été reconnus d’importance nationale. Ils figurent désormais dans cet inventaire.

Hauts-lieux de la biodiversité, les foins des rochers figurent parmi les plus menacés. Exception faite de quelques régions de Suisse centrale et de l’Oberland bernois, ils ont d’ailleurs pratiquement disparu de l’arc alpin.
Jusque dans les années 50, leur existence relevait d’une nécessité économique puisqu’ils étaient indispensables aux éleveurs pour l’affouragement hivernal.
Aujourd’hui, cédant la place à des intérêts écologiques et folkloriques, l’argument économique a perdu de sa force. En Suisse centrale cependant demeurent quelques gardiens de cette longue tradition. Il en est ainsi dans la vallée de l’Erstfeld où les foins des rochers avaient été abandonnés depuis plus d’une trentaine d’années. Aujourd’hui, après cinq ans de reprise de cette activité, on constate déjà des changements : les indicateurs de friche régressent, le nombre d’espèces végétales augmente et, parmi elles, des espèces particulièrement attractives telles le lis safrané, l’ancolie des Alpes, l’orchis globuleux ou la campanule en thyrse.
Le transport du foin s’effectue en général par le biais de câbles (ils remplacent les luges d’antan) sur lesquels on accroche des balles de foin de plus de cinquante kilos.
Selon la loi fédérale relative à la protection de la nature et du paysage, les foins des rochers qui figurent parmi les prairies et pâturages secs les plus précieux, méritent une protection particulière. Ils représentent 900 ha pour l’entretien desquels la Suisse assume une responsabilité européenne. On ne pourra sauvegarder cette activité qu’en collaboration avec des paysans motivés et bien informés, et en misant sur son attractivité touristique.

Pour sauvegarder ces milieux uniques de l’arc alpin et avec eux des espèces menacées à l’échelle nationale et européenne, la Suisse mise sur trois stratégies :
• Agrandir et créer de nouvelles surfaces en plaine, notamment des corridors permettant aux espèces affectées par le changement climatique de migrer en altitude.
• Éviter l’intensification. Les études récentes ont montré que la destruction des milieux secs par la fertilisation ou l’arrosage se poursuit. Dans les vingt dernières années, près d’un tiers des prairies et pâturages secs ont encore disparu, se transformant pour la plupart en herbage intensif.
• Maintenir l’utilisation des milieux. Jusqu’ici et contrairement aux autres pays européens, peu de pâturages avaient été abandonnés en Suisse (les friches représentent environ 14 % de la surface relevée dans l’inventaire).
Pour pallier le changement qui est en train de se faire jour et revaloriser les surfaces menacées d’abandon, la Suisse fait de plus en plus appel à des intervenants « non agricoles ». Il peut s’agir de personnes effectuant leur service civil ou des travaux d’intérêt général (alternative à une peine d’emprisonnement), de chômeurs, de requérants d’asile, d’écoliers…
L’agriculture reste néanmoins l’acteur principal du maintien des milieux secs.
Les contrats d’exploitation, permettant de rétribuer le fastidieux travail de fauche dans les régions de montagne, sont d’ailleurs en voie d’être élargis aux pâturages même si ceux-ci sont encore rarement concernés. Pour les prairies sèches en revanche, la majeure partie des cantons suisses a conclu des contrats avec les exploitants.
On notera aussi que la sauvegarde devrait aller de pair avec une promotion des pâturages bovins. En effet, de récentes études comparatives ont montré que la pâture bovine convient davantage aux sites à haute biodiversité que la pâture ovine. Les surfaces broutées par des moutons (plus sélectifs) aboutissent souvent à des peuplements monotones et riches en graminées. On note par exemple que les 2 357 ha de pâturages ovins inventoriés présentent en moyenne jusqu’à cinq espèces clés de moins que les pâturages bovins comparables.

Actuellement, un tiers environ des prairies et pâturages secs de l’inventaire bénéficie d’une protection (sous forme de contrat d’exploitation ou d’appartenance à une zone protégée). L’ordonnance attendue pour 2010 suscite donc beaucoup d’espoirs et une certaine impatience… le principal obstacle n’étant pas la réceptivité des agriculteurs mais le problème du financement !