Protocole mal calé, le petit coup de pouce des biostatisticiens
C’était plutôt mal parti… Les données recueillies sur la pie-grièche écorcheur s’avéraient erronées. S’était-on trompé de protocole ? Tout serait donc à jeter… Heureusement, il est parfois possible de sauver le suivi en adaptant les méthodes d’analyses, quitte à sacrifier des données.
La pie-grièche écorcheur est une espèce d’intérêt communautaire (1). Pour en estimer l’abondance dans la zone de protection spéciale Forêt, bocage, étangs de Thiérache, une étude est entreprise en 2009. Or, une fois le protocole monté et le travail de collecte effectué, le Parc naturel régional de l’Avesnois (opérateur) s’aperçoit de son inadéquation. Les résultats ne peuvent pas être interprétés.
L’opérateur a pourtant suivi à la lettre les étapes de la méthode de Distance sampling qu’il a considérée comme étant la plus adaptée. Celle-ci, en effet, module les résultats en tenant compte du fait que plus l’observateur est loin, moins il a de chance d’identifier d’oiseaux. Après cinquante-sept jours de terrain et deux agents du parc mobilisés, la banque des données est confiée à un biostatisticien du CNRS afin de l’analyser. C’est là que le verdict tombe : l’analyse statistique révèle des inexactitudes. Elles sont liées aux contraintes de terrain qui ont conduit à fausser la méthode. La présence des haies notamment, limite la vision de loin et aboutit à une surestimation de la densité.
Il y a quelques années, ces données auraient été inexploitables. Heureusement, un lien fort s’est construit entre les gestionnaires et les biostatisticiens qui connaissent bien le panel de méthodes disponibles, leur adaptabilité aux données récoltées et les contraintes qu’elles imposent sur le terrain. Ils savent que, depuis quelques années, de nouvelles méthodes d’analyses existent, dont une nommée Site occupancy récemment élaborée. Cette dernière peut être utilisée pour le type de données collectées ; à condition d’accepter de perdre un peu d’information. La méthode vise à estimer la détection moyenne des individus sur l’ensemble d’un secteur pour ensuite corriger les abondances observées. Elle n’impose plus de travailler avec une bonne visibilité des longues distances. Elle nécessite pour cela de prospecter de nombreux secteurs avec plusieurs passages sur les mêmes secteurs ; ce qui était exactement le cas du protocole déployé sur le terrain.
Ouf, ont pu murmurer les protagonistes, contents qu’une collaboration originale leur ait permis d’aboutir. Ils retiendront qu’en amont des choix concernant le protocole de suivi et la récolte des données, il est primordial de bien identifier les méthodes d’analyses des données qui seront employées et les contraintes liées à leur usage. Enfin, il est parfois possible d’interpréter à partir d’un protocole mal calé en utilisant des méthodes d’analyses plus adaptées. •
1. Elle figure à l’annexe I de la directive Oiseaux et possède un statut vulnérable à l‘échelle du Nord-Pas-de-Calais.