Prendre en compte le temps et l’espace

 
pour mesurer la fréquentation des espaces naturels

Espaces naturels n°19 - juillet 2007

Le Dossier

Alexandre Mignotte
Cipra France
Sonia Chardonnel
Laboratoire Territoires
 

Il y a des choses que l’on sait, d’instinct : « Tel sentier est très fréquenté, tel autre l’est moins. » Mais ce que l’on connaît moins, c’est le type de fréquentation : quel âge ont les randonneurs ? Que font-ils sur ces sentiers ? À quelle heure ? En quelle saison ?

Connaître la fréquentation d’un réseau de sentiers suppose de concevoir un outil spécifique dont les objectifs et fonctionnalités dépendent des enjeux déterminés par le gestionnaire. Il s’agit de répondre à des questions d’apparence basique mais pour lesquelles très peu d’informations précises – voire aucune – ne sont disponibles : « Qui, où, quand, fait quoi et pourquoi ? » La mesure de la fréquentation touristico-sportive renvoie alors, certes à des individus et des pratiques, mais aussi au temps et à l’espace. Cette fréquentation s’évalue en effet en fonction d’itinéraires et de logiques de déplacements-stationnements.
Compter, qualifier, localiser
Le protocole mis en place durant les étés 2000 et 2001 (les réserves naturelles des Aiguilles rouges et de Passy ont constitué les principaux terrains d’étude) distingue trois grandes phases de travail. Il cherche à combiner quantification (en termes de flux), spatialisation (en termes d’itinéraires et de pratiques) et qualification (en termes de caractères, de motivations, de perception, de temporalités) de la fréquentation des sentiers 1.
La première phase du protocole a consisté en un travail de comptage permettant d’estimer le nombre de visiteurs en certains points du réseau. Des tapis sensibles au passage d’une personne furent installés sur les sites d’études. Des comptages visuels furent réalisés pour compléter ou redresser les données obtenues à partir des appareils.
La seconde phase, plus conséquente, a pris la forme d’une enquête combinant un questionnaire et une sorte de carnet de bord, tous deux soumis aux visiteurs, sur les sentiers ou au retour de balade. Le questionnaire porte sur le profil des visiteurs et sur leurs motivations et représentations de leur pratique des espaces protégés.
Le carnet de bord se présente sous la forme d’un tableau (voir page 16) dans lequel sont renseignés les activités, périodes ou moments durant lesquels elles se déroulent. Il est agrémenté d’une carte du réseau de sentier. On peut alors rendre compte du déplacement (daté et spatialisé) et des activités (c’est-à-dire de l’emploi du temps) de la personne interrogée.
De loin la plus conséquente, la troisième phase fut aussi la plus expérimentale. Il s’est agi d’articuler les informations propres aux emplois du temps et de l’espace des enquêtés avec les réponses aux questions concernant leurs profils, motivations et pratiques.
Un outil informatique de cartographie dynamique2 (voir encadré) a alors permis de visualiser cette combinaison et de mettre en évidence des types de cheminement ou « patterns d’itinéraire3 ». Ainsi, la cartographie page 16 illustre une simulation de trois itinéraires : les itinéraires traversés, les itinéraires aller-retour, les itinéraires circuits.
La simulation des cheminements des randonneurs permet également de visualiser les rythmes et les séquences temporelles significatives de l’utilisation du réseau de sentiers, à l’échelle d’une journée par exemple. On a ainsi remarqué que dans les Aiguilles rouges, les portions du réseau qui relient les portes d’entrée au lac Blanc sont très fréquentées dans la matinée et qu’une portion d’itinéraire continue à être assez fréquentée entre 12 h et 14 h (l’accès tardif, pour une courte randonnée, est possible grâce au téléphérique).
L’analyse des budgets-temps alloués à la randonnée est également possible. Ici, la majeure partie des randonnées débutent entre 9 h et 11 h et se terminent entre 15 h et 17 h. Les départs plus précoces sont le fait de personnes ayant un but autre que la randonnée elle-même : il s’agit essentiellement d’alpinistes dans les Aiguilles rouges.
Un autre intérêt de cette combinaison méthodologique tient au fait que l’on puisse, grâce aux types de données recueillies, tester des hypothèses sur les formes de pratiques et l’utilisation du réseau par les visiteurs.
Les simulations montrent que les variables comme l’âge ou bien le type d’accompagnement sont les plus discriminantes. La présence d’enfants parmi les personnes accompagnantes est une variable très explicative du choix du cheminement ainsi que de la durée de la randonnée. Dans les Aiguilles rouges, les personnes accompagnées d’enfants sont plus concentrées (en comparaison des personnes sans enfant) sur les parties du réseau accessibles par les téléphériques et permettant la réalisation de randonnées relativement courtes dans le temps.
Délicat et complexe
La mesure de la fréquentation touristico-sportive en espaces naturels est toujours délicate et complexe. Elle demande un investissement matériel, humain et financier important, mais elle peut apporter des informations d’une grande utilité aux gestionnaires. À condition cependant que ces informations soient produites en fonction de leurs besoins et qu’elles aillent au-delà d’une simple photographie dont l’utilité est souvent limitée. Trop d’institutions ont des informations sur la fréquentation dont elles ne savent pas quoi faire, parce qu’elles n’ont pas défini d’objectifs préalables.
L’observation de la fréquentation permet ainsi : d’ordonner des données dans un modèle relativement simple, d’explorer facilement ces données et de formuler des requêtes dans une interface conviviale, de visualiser les trajectoires des individus dans l’espace et dans le temps, d’être un support de communication pour matérialiser les réflexions d’acteurs autour de la problématique de la fréquentation.
Cependant, pour passer de l’aide à la réflexion vers l’aide à la décision, il convient de mettre l’accent sur l’appropriation des méthodes et outils par les gestionnaires. Il faut donc encore les ajuster, les réviser, et certainement les améliorer.

1. Des recherches identiques ont été menées dans la réserve naturelle des gorges de l’Ardèche et dans le parc national des Écrins (site de l’Alpe de Villar d’Arène). Des travaux complémentaires ont été conduits à titre exploratoire dans les PNR de la Chartreuse et du Vercors.
2. Cartographic data vizualisation for time-space Data – CDV-TS System.
3. Ces parcours sont souvent connus empiriquement. Ils donnent lieu à un questionnement récurrent dans les enquêtes.