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Le pâturage fait son bilan

 

Espaces naturels n°3 - juillet 2003

Gestion patrimoniale

Jean-Philippe Lacoste
Délégué de rivage Normandie du Conservatoire du littoral Hervé Moalic Directeur du Syndicat mixte espaces littoraux de la Manche

 

Si les pratiques de pâturage extensif constituent un mode de gestion très efficace et durable des dunes littorales, elles peuvent aussi se révéler catastrophiques. Bilan de vingt ans d’expérimentation par le Conservatoire du littoral et le Symel et difficultés de transmission.

De la presqu’île de la Hague à la baie du Mont-Saint-Michel, le paysage actuel des dunes de la côte ouest du Cotentin (Manche) est hérité des pratiques ancestrales de pâturage, formant des mielles, vastes espaces de pelouse rase parsemés de dépressions humides et de reliefs plus ou moins marqués qui couvraient près de 10 000 hectares. Depuis le Moyen Âge, les animaux (moutons, puis bovins et chevaux) y ont contrôlé la dynamique naturelle de la végétation.
La superficie des mielles a été réduite de moitié depuis 50 ans, concurrencée par l’urbanisation et la rentabilité des cultures légumières. Depuis vingt ans,
le Conservatoire du littoral a engagé
l’acquisition d’un tiers significatif de ce patrimoine. La directive européenne sur les habitats naturels a depuis confirmé l’intérêt exceptionnel de ces milieux1 qui abritent de belles populations d’amphibiens (dont le triton crêté) et de nombreuses espèces végétales rares et protégées (liparis de Loesel, pyrole à feuilles rondes, gentiane amère, sagine noueuse, germandrée des marais…). C’est dans ces milieux dunaires que le Conservatoire du littoral a analysé l’impact du pâturage extensif et intensif.
Bilan contrasté
pour le pâturage contrôlé
Les dunes d’Hatainville (500 hectares) constituent, en effet, depuis 1980, date de son acquisition par le Conservatoire du littoral, un site pilote pour le pâturage extensif destiné à démontrer qu’il est encore possible, dans un contexte économique très favorable à l’intensification, de concilier protection et production. La partie sud du massif dunaire est louée, depuis 1996, à un éleveur qui conduit, sur 226 hectares, un troupeau de 55 vaches allaitantes (races gasconne et charolaise), qui entre sur la dune mi-novembre pour une période de 5 à 6 mois. Après le vêlage, le chargement instantané atteint 0,26 UGB/ha vers la fin mars. Il s’agit d’un chargement proche de l’optimal que l’éleveur module en fonction de la ressource fourragère du site. Les animaux le quittent entre la mi-avril et la mi-mai pour passer la belle saison dans les prairies humides du Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin. Si les vaches maintiennent les pelouses dans un état d’équilibre jugé satisfaisant par comparaison avec les parcelles voisines, elles ne parviennent pas à bloquer la dynamique végétale propre aux dépressions humides. Ces dernières s’embroussaillent et se boisent plus rapidement que les pelouses. Face à ce constat, la partie nord a été confiée, depuis quatre ans et à titre expérimental, à un éleveur qui cherche à développer une production de chevaux d’attelage. Un troupeau de 18 Cobs normands parcourt 110 hectares, soit un chargement instantané de 0,16 UGB/ha. Il pourra évoluer en fonction des résultats obtenus sur l’embroussaillement des dépressions humides. Les enseignements techniques tirés de ce site de référence ont été repris dans les orientations des documents d’objectifs Natura 2000 établis en 2001 pour le secteur.
Usage agricole
et préservation,
un accord difficile
Avec la mise aux normes des bâtiments d’élevage, on assiste depuis peu à une recrudescence de la demande en espaces dunaires de la part d’éleveurs en quête de surfaces et de lieux secs et sains. En dehors de quelques sites disposant de superficies considérables, force est néanmoins de constater qu’en général l’usage agricole et les objectifs de préservation environnementale s’accordent difficilement. Une récente étude réalisée en 2001 par le Conservatoire du littoral et le Symel2 permet de procéder à une évaluation des pratiques spontanées actuelles et de proposer des conditions d’amélioration. Il apparaît clairement que, lorsqu’elles sont intégrées dans un système de production intensif, les dunes servent essentiellement de stabulation de plein air pour des troupeaux de plus en plus nombreux. Les éleveurs se contentent le plus souvent d’une superficie minimale où remiser leur cheptel, dans un secteur facilement accessible, et de procéder à un affouragement quotidien. Cette pratique induit une surcharge localisée en bétail, une dégradation de la couverture végétale et un apport significatif en matière organique qui modifie profondément la composition floristique du milieu. En outre, la concentration des animaux sur une petite surface laisse à l’abandon la plus grande partie de la dune et favorise un embroussaillement rapide, notamment dans les zones les plus abritées et les plus humides.
Forts de ces références technico-économiques et de cette connaissance des pratiques et des contraintes des éleveurs, le Conservatoire du littoral et le Symel ont engagé le dialogue avec la profession agricole et l’administration pour modifier les pratiques d’une quarantaine d’exploitants et l’étendre progressivement, via les documents d’objectifs Natura 2000, à l’ensemble des espaces dunaires de la Manche.

1. Habitats génériques dunes fixées à végétation herbacée, code Natura 2000 : 2130 et dépressions humides intradunales, code Natura 2000 : 2190.
2. Étude de l’impact du pacage hivernal sur les milieux dunaires, Conservatoire du littoral - Symel 2001, réalisée par Agriculture eau environne-
ment - CPIE du Cotentin, 91 pages et annexes. Avec le concours de la Diren de Basse-Normandie et de l’Agence de l’eau Seine-Normandie.