« Levez la tête… »
Depuis le temps qu’il reçoit des stagiaires, le directeur de la maison familiale rurale d’Aillevilliers met l’accent sur la rigueur. Mais au-delà des techniques et des savoir-faire, c’est aussi le mental des gens qu’il veut changer.
Stéphane Lamulle n’aime pas qu’on évoque son parcours personnel ; oui, il a lui-même enduré un accident de travail : un arbre lui est tombé dessus, il est resté deux ans immobilisé mais « il s’en est sorti, alors que tant d’autres… ».
Ainsi, l’ancien moniteur forestier sait de quoi il parle, et si les stages sécurité qu’il organise avec son équipe font une large part au vécu, c’est qu’avant tout, il faut convaincre. On parle donc beaucoup, lors des sessions organisées à la maison familiale. À table ou pendant les « cours », on évoque des faits réels, ces petites choses banales qui ont vraiment mal tourné. « Il faut impérativement que les stagiaires en finissent avec l’inconscience et changent d’état d’esprit : il n’y a pas de travaux anodins, sans risque. Cela n’arrive pas qu’aux autres, une petite artère coupée et on se vide en cinq minutes ».
Le directeur évoque les réactions des stagiaires et, alors, une pointe de sourire souligne sa voix : « Généralement, ils repartent avec l’envie de mettre en pratique leurs acquis. C’est d’ailleurs le plus beau compliment qu’ils puissent nous faire. Nous mettons tout en œuvre pour en arriver là. Les conditions de l’internat, la proximité avec les animateurs, le respect, la politesse, la confiance… Nous travaillons beaucoup sur l’humain. Mais pour faire barrage à la négligence et démontrer ce que rigueur veut dire, nous mettons les gens en situation de
travail ».
Un peu plus tard, Stéphane Lamulle est en forêt au côté d’un stagiaire qui « joue » de la tronçonneuse. Il va abattre un arbre. Le formateur est attentif pour deux. D’un signe, il incite son coéquipier à lever la tête. « Il faut regarder partout, toujours, vérifier que quelqu’un n’est pas en train de ramasser des champignons ou que des branches mortes ne s’effondrent pas. Généralement, les stagiaires ont plutôt la tête baissée, ils se concentrent sur leurs outils et leur travail. Ils se croient seuls, au point de se retourner tronçonneuse à la main, sans s’inquiéter qu’un autre puisse évoluer à l’arrière ».
La machine fait du bruit, le stagiaire s’isole avec les écouteurs, il est un peu coupé du monde, un peu comme dans une bulle. Le formateur le rappelle aux règles de base : « être observateur ». Il répète, inlassablement, les mêmes consignes. Interdit qu’on pose son casque.
Un coup de baguette et l’autre comprend qu’il doit redescendre sa visière. À l’affût du moindre détail à corriger, il ne laisse rien passer. « La sécurité, c’est la rigueur. Il n’y a pas d’exception, jamais ».
Petit à petit, le stagiaire objective le risque. Il s’éloigne aussi des résistances à l’inconfort (vrai ou supposé) des vêtements de sécurité. Il évolue aussi vers des comportements raisonnés, loin du machisme qui veut que « si tu portes un équipement de sécurité, t’es pas un vrai homme ».
Et puis, cessant de sous-estimer les risques, il revient du stage et envoie ses collègues en suivre un prochain. Et ça, pour les organisateurs, c’est vraiment la consécration.
Moune Poli