« Nous construisons les bases d’une coopération transfrontalière »
Espaces naturels n°41 - janvier 2013
Roland Stein
Réserve de Biosphère Pfälzerwald - Vosges du Nord
Depuis trente ans, Allemagne et France collaborent sur des projets transfrontaliers. Depuis 1998, la coopération a pris un nouveau tour avec la mise en place d’une réserve de biosphère.
Entre la France et l’Allemagne, une coopération d’un genre particulier est en marche. Projet pilote, il vise la création d’une trame verte et bleue transfrontalière dont le tracé évolue dans la Réserve de biosphère transfrontalière (RBT) Vosges du Nord – Pfälzerwald. Sa déclinaison concrète prévoit entre autres la création d’écoponts et de passerelles à gibier. Si les porteurs du projet aiment à souligner les succès de cette collaboration mise en place depuis 1983, c’est que ce travail constitue un long chemin pavé d’ornières. La coopération internationale, « c’est pas toujours de la tarte » avouent les opérateurs. Car malgré la croissance des grands défis internationaux, les tâches nationales sont toujours prioritaires. Ainsi, la grande majorité des leaders politiques régionaux, allemands ou français, des élus communaux, des autorités, des services publics, des chargés de mission des parcs ne consacrent pas le temps nécessaire à cultiver une connaissance profonde de l’autre partenaire. Condition pourtant sine qua non de la réussite. Tant de choses divergent : le territoire, la réalité des acteurs, de la manière dont évoluent, dans chaque pays, les projets transfrontaliers.
Investissement. Le fait est que les acteurs du projet ne sont pas suffisamment disposés à apprendre la langue et la culture de leurs partenaires, ajoutant par là à la complexité des interactions. Imaginez l’effet produit par la déclaration d’un représentant d’un ministère allemand lors d’une réunion importante en France : « Payer un interprète ne sera pas vraiment nécessaire. Nos collègues français, qui viennent de l’Alsace et de la Lorraine, comprennent bien l’allemand, n’est-ce pas ? » Mauvaises perceptions, malentendus et absence de capacité de résolution de conflit en découlent. La coopération transfrontalière s’appuie sur de nombreuses concertations informelles. A priori, des processus simples… or, les choses sont complexes du fait des différentes cultures administratives. Un chargé de mission allemand, qui dispose de la compétence propre, est très étonné de s’entendre dire par un chargé de mission français que ce dernier doit en référer à son directeur avant de prendre une décision. Par ailleurs, les partenaires ont chacun des schémas d’interprétation culturels spécifiques ainsi que des stratégies culturelles de résolution de conflits différentes. Contrairement à l’Allemagne, les réserves de biosphère françaises ne disposent pas d’un statut légal. Cette différence induit des conséquences pour le statut du zonage de la Réserve de biosphère transfrontalière. De même, l’exclusion de sites de patrimoine culturel des aires centrales au Pfälzerwald ne s’accorde pas avec le choix des Vosges du Nord, où se trouvent, en aire centrale, des châteaux forts médiévaux fréquentés par plusieurs milliers de touristes chaque année. Même après une coopération franco-allemande de presque trente ans, et malgré tous les efforts déployés pour appliquer le cadre légal, il n’a pas été possible que la RBT acquiert une indépendance juridique et une sécurité pécuniaire. Plusieurs postes transfrontaliers et un budget à long terme cofinancé par les deux partenaires seraient nécessaires. Mais ce n’est pas le cas. Il en résulte des situations rocambolesques où, quelquefois, les moyens ne permettent pas d’engager les interprètes pourtant indispensables. Il est également advenu qu’un voyage d’étude important de décideurs franco-allemands soit annulé faute de moyens pour payer les frais de déplacement.
Le gouffre. Il y a un gouffre entre les déclarations d’intentions en faveur du transfrontalier et leur mise en pratique. Les porteurs de la RBT se sentent relégués au rang de solliciteurs, ce qui ne leur facilite pas le travail. Par ailleurs, ils doivent redoubler leurs efforts afin de surmonter le manque de souplesse des structures nationales et l’esprit des administrations locales qui les incitent au repli sur eux-mêmes. Ceci sans compter la lourdeur bureaucratique croissante des programmes de l’Union européenne. Le cadre du programme Interreg 3A avait permis de réaliser treize projets transfrontaliers. Les barrières du programme Interreg 4A n’ont permis la conception que d’un seul. Dans les faits, chaque pays a tendance à se replier sur lui-même. Aujourd’hui encore, après quinze ans, quelques publications françaises évoquent la Réserve de biosphère des Vosges du Nord, tandis qu’en Allemagne on parle de la Réserve de biosphère du Pfälzerwald. Depuis 1983, les ministères responsables, à Paris et à Mainz, ne se connaissent pas.
Réussite. Le projet avance malgré tout. En 2011, cette réserve de biosphère transfrontalière des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, a vu le renouvellement de sa reconnaissance officielle par le programme Man and the Biosphere (Mab) de l’Unesco. Pour la première fois, une telle réserve a passé le cap de la révision périodique. Notons également qu’en 2012 une journée réunissait plus de cent experts, biologistes de terrain. Le grand public français et allemand découvrait à cette occasion la diversité des espèces animales, végétales et fongiques. À cette date, le projet de réseau écologique franco/allemand prenait un tour nouveau dans la mesure où il touchait les populations locales en les sensibilisant à la sauvegarde de la biodiversité des deux pays. Autre note positive, la Réserve intégrale forestière transfrontalière Adelsberg – Lutzelhardt (qui constitue l’aire centrale transfrontalière de la RBT) est en train de devenir un modèle pour beaucoup d’experts internationaux. L’avenir ? Les deux pays ont pris l’engagement, vis-à-vis de la communauté mondiale, d’assurer la position de la RBT, comme région modèle internationale. Les décideurs sont-ils vraiment prêts à assumer les conséquences de cet engagement ? Celui-ci induit la création d’une structure porteuse commune, basée sur une bonne gouvernance transfrontalière. Cet outil, par exemple, permettrait d’avancer avec l’élaboration d’un zonage commun qui agrandit le nombre et le périmètre des aires centrales, l’élaboration et la réalisation d’un plan de gestion commun et d’un programme d’actions transfrontalier. Mais va-t-on reconnaître une indépendance juridique de la réserve de biosphère et avancer dans l’introduction d’une culture administrative transnationale ? Ce projet ne peut fonctionner sans sécurité financière, sans une indépendance économique à long terme. La prise en compte de ces questions lui permettrait d’accéder plus rapidement à ses fins. La période du « débrouillez-vous » est révolue. •