>>> Pratiques de coopérations transfrontalières

Jumelages gagnants à nos frontières

 

Espaces naturels n°1 - janvier 2003

Vu ailleurs

 

 

 

 

 

 

 

Le grand tétras est têtu, à la limite du vexant, il s’épanouit en Forêt noire et régresse dans les Vosges. Aussi, pour comprendre, les gestionnaires d’espaces naturels regardent de l’autre côté de la frontière et comparent leurs pratiques. Ils essaient de coordonner leur action et conçoivent des partenariats qui, ailleurs comme en Argentera-Mercantour, ont débouché sur des jumelages et des projets d’espace européen. Dans les trois expériences que narre cette double page, la frontière, en marquant une rupture territoriale, ouvre des pistes d’études comparatives. Ainsi, l’observation du Grand tétras dans des forêts si proches et semblables que la Forêt noire et le massif des Vosges, nous renseigne sur les effets des choix opérés en matière d’exploitation forestière. De même, dans les eaux du futur parc international du détroit de Bunifaziu, l’étude des différences de densité de la biomasse permet aux gestionnaires d’analyser les liens entre politiques de gestion et qualité des peuplements ichtyologiques. Et comme Corses et Sardes ont quinze années de décalage dans leur action, cela leur ouvre l’opportunité de comparer les effets à long terme de leurs différents choix de gestion. Quand au Gypaète barbu, ce doit être un sage. Emblématique du jumelage des parcs Alpi Marittime et Mercantour, il nous enseigne que les différences culturelles sont une richesse, à condition que l’on veuille bien s’y consacrer et s’engager sans détours dans la coopération. n

Ballons des Vosges et Forêt noire
Dérangé dans les Vosges, le Grand tétras s’épanouit en Forêt noire

Depuis vingt années, dans le massif vosgien, les effectifs de grands tétras diminuent. De l’autre côté de la frontière, en Forêt noire, ils sont stables. Les milieux forestiers sont pourtant comparables et correspondent aux caractéristiques d’habitat de l’oiseau. Quelle est donc l’explication de cette différence ?
Pour comprendre, il faut savoir que le Grand tétras se nourrit surtout de myrtilles (baie, feuille et tige). En hiver, la neige tarit sa source principale d’alimentation et il se replie sur l’aiguille de sapin, qui a un apport calorifique bien moindre. Le grand tétras est alors fragilisé et ne peut survivre à des dépenses d’énergie répétées : ce qui est le cas lorsqu’il est trop fréquemment dérangé.
L’étude comparative des deux massifs, réalisée par le Groupe tétras Vosges, a mis en évidence des différences importantes dans les modes d’exploitation forestière. Ainsi, en Forêt noire, la sylviculture est demeurée plus proche de la nature. La structure forestière qui en résulte est favorable au grand tétras, sur une surface importante. Au contraire, en France, seuls deux tiers du territoire forestier demeurent, de ce point de vue, favorables à l’espèce.
Par ailleurs, les gestionnaires de la Forêt noire ont considéré que les 100 mètres de part et d’autre des voies de pénétrations sont susceptibles d’être perturbés par l’activité humaine. Une démarche de concertation et de réorganisation des activités a donc été engagée, afin de diminuer la densité du réseau de sentiers. De fait, sur les secteurs étudiés, les zones perturbées ne représentent aujourd’hui que 57% des surfaces en Allemagne, contre 70% en France.
Ces deux facteurs discriminants se conjuguent pour constituer une véritable cause d’exclusion pour l’espèce.
Il suffisait de regarder de part et d’autre de la frontière pour le comprendre. n

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Christian Schwoehrer, Parc naturel régional des Ballons des Vosges.
cschwoehrer.ben@wanadoo.fr

Projet de parc marin international entre Sardaigne et Corse
Étude des biomasses de poissons : 15 années de gagnées

Depuis 1993, le parc national de l’archipel de la Maddalena (Sardaigne) et la réserve naturelle des Bouches de Bunifaziu (Corse) ont en commun un projet de parc marin international. L’objectif est de préserver un site particulièrement menacé par le développement des activités littorales et maritimes. L’aire marine protégée inclut l’archipel de la Maddalena et le détroit de Bunifaziu, sur une surface totale de 100 000 hectares.
Pour définir une politique commune de protection, les gestionnaires devaient disposer de données chiffrées sur l’état de la biomasse. C’est ainsi qu’en 2001, les suivis des peuplements réalisés depuis 1986 dans les Bouches de Bunifaziu ont été étendus à la partie sarde. Les résultats collectés dans ces zones récemment réglementées ont confirmé l’impact négatif d’un effort de pêche trop important, renforcé par le braconnage. Ces données ont pu être comparées à l’évolution positive des biomasses dans les zones réglementées et suivies depuis plus de 20 ans.
L’ensemble de ces suivis permettra de réaliser des transferts de génie écologique et halieutique entre les deux structures dans l’attente d’un plan de gestion commun et de la création d’une structure de gestion unique. n

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Guy-François Frisoni : frisoni@oec.ff

Massif de l’Argentera - Mercantour
La montagne « senza frontiere » des gypaètes barbus

Cœur cristallin cerné de marges sédimentaires, le massif de l’Argentera-Mercantour offre une grande richesse biologique et une variété de paysages. Sur cette entité biogéographique, se superpose un lieu de convergence humaine. Les relations croisées des hommes des Alpes, de la Ligurie et de la Provence y ont généré un patrimoine culturel original et sans frontière.
Initiée depuis plus de quinze ans, la coopération entre le Parc national du Mercantour et le Parco naturale Alpi Marittime est le prolongement logique de cet héritage géologique et culturel transfrontalier. Le concept de « montagne sans frontière » symbolise les actions initiées conjointement dans des domaines très variés : préservation de la biodiversité, échanges de travaux scientifiques, publications, recherche de financements, comptages ou signalétique.
Ainsi, les deux parcs développent des opérations en faveur de grandes espèces emblématiques, telle que la réintroduction du gypaète barbu. Cette action se traduit par l’organisation annuelle d’un lâcher, réalisé alternativement en France et en Italie. Elle est complétée par la mise en place d’un réseau d’observation et l’organisation d’un colloque international franco-italien. Le suivi de la population de bouquetins se réalise également en coopération : comptages annuels, radio tracking, étude sur l’usage du territoire et sur la génétique, création de nouvelles colonies dans les espaces protégés de l’arc alpin, etc.
Les deux établissements mettent en commun leurs données et travaux scientifiques. Une capitalisation des connaissances qui a conduit à la publication d’un atlas transfrontalier bilingue, sur le patrimoine naturel et culturel des deux Parcs. Mais dans ce domaine, l’action la plus emblématique est certainement la coédition de « Montagne sans frontière », premier guide bilingue transfrontalier. n

>>> Pour en savoir plus
Marina Jauffret, responsable
transfrontalière • Tél. : 04 93 16 78 88