Agir en droit

Faire réparer un préjudice écologique les gestionnaires ont acquis le droit d’ester en justice

 
Droit - Police de la nature

Sébastien Mabile
Lysias Partners, avocat - Conseil scientifique du programme Liteau du ministère chargé de l’écologie

 

Les gestionnaires d’espaces naturels sont réticents à s’aventurer sur le terrain judiciaire. La reconnaissance progressive de la notion de préjudice écologique devrait faire évoluer cette situation et les autoriser à faire reconnaître leurs efforts en faveur des milieux naturels.

Le code de procédure pénale (article 2) dispose que l’action civile en réparation de dommage appartient à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction : les caractères personnel et direct du dommage sont donc nécessaires. Or, a contrario, le dommage écologique souffre d’une absence de caractère personnel puisque l’environnement est une res nullius (une chose sans maître) (article 714 du code civil).
L’action en justice s’avère cependant possible car le droit reconnaît l’intérêt collectif (situé entre l’intérêt individuel et l’intérêt général).
Ainsi, la doctrine considère que « le caractère commun, collectif, d’un bien, non seulement ne fait pas obstacle, mais permet au contraire d’établir le préjudice environnemental direct de la personne morale de droit privé ou de droit public ».

Le législateur a progressivement habilité certaines personnes morales à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour mission de défendre.
Ce concept d’habilitation législative est né de la loi Barnier du 2 février 1995. Les associations agréées de protection de l’environnement, ainsi que diverses personnes publiques telles l’Ademe, le Conservatoire de l’espace littoral, les agences financières de bassin, la Caisse nationale des monuments historiques et des sites ont été autorisées à demander réparation du préjudice moral né de l’atteinte aux intérêts collectifs qu’elles ont pour mission de défendre1.
La liste s’est élargie une première fois en 2000 aux chambres d’agriculture, parcs naturels régionaux et centres régionaux de la propriété forestière (devenus Centre national de la propriété forestière), puis en 2005 (loi du 23 février 2005) à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ainsi qu’en 2006 (loi du 30 décembre) à l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques.

La loi sur la responsabilité environnementale du 1er août 2008 a enfin étendu cette habilitation aux collectivités locales pour les infractions affectant les territoires sur lesquels elles exercent leurs compétences.
Le législateur a donc progressivement élargi la palette des personnes susceptibles de demander réparation du préjudice écologique, tout en maintenant à l’écart les parcs nationaux, l’agence des aires marines protégées ainsi que certains établissements publics spécialisés tel que l’Office de l’environnement de la Corse, pourtant gestionnaire d’espaces naturels.
Cette différence de traitement pouvait paraître injuste, incohérente.

Les parcs nationaux ont ouvert une première brèche dans ce système relativement fermé d’habilitations législatives. La chambre criminelle est en effet venue préciser, par deux arrêts du 8 mars 1995 et 7 avril 1999, que cette liste d’habilitation n’était pas exhaustive.
Le critère déterminant retenu par la Haute juridiction pour fonder la réparation d’un préjudice de nature environnementale réside dans la preuve que l’une des missions dont les personnes morales ont légalement la charge a été atteinte par l’infraction reprochée. Cette preuve suffit alors à définir le caractère personnel du préjudice, distinct du préjudice général dont seul le ministère public peut se prévaloir. La cour de cassation substituait ainsi au fondement légal un fondement statutaire spécial.
Cette ouverture de la recevabilité de l’intérêt à agir pour la réparation des atteintes causées au milieu naturel a ensuite été élargie aux associations non agréées de protection de l’environnement (Cass. Crim, 12 septembre 2006).

Enfin, deux jugements ont déclaré recevable l’action de collectivités en réparation d’un préjudice écologique, distinct du préjudice matériel ou moral habituellement accordé (ces jugements sont intervenus avant la loi du 1er août 2008 leur accordant l’habilitation).
La première affaire concernait le naufrage de l’Erika au large des côtes de Bretagne. Le 16 janvier 2008, les juges du tribunal correctionnel de Paris, se référant notamment à la jurisprudence de la chambre criminelle relative aux parcs nationaux, ont reconnu que « les collectivités qui reçoivent de la loi une compétence spéciale en matière d’environnement leur conférant une responsabilité particulière pour la protection, la gestion et la conservation d’un territoire, peuvent demander réparation d’une atteinte causée à l’environnement […] distinct du préjudice social dont la réparation est assurée par l’exercice de l’action publique ».
La seconde affaire concernait la pollution d’un parc urbain sur la commune de Vanves. Les juges du tribunal de Nanterre ont considéré que la commune était « en droit de faire reconnaître l’existence d’un préjudice environnemental subi par le patrimoine naturel du parc Frédéric-Pic installé sur son territoire, cette atteinte à l’environnement lésant à l’évidence, de manière directe ou indirecte, les intérêts collectifs des administrés de la commune qu’elle a statutairement pour mission de sauvegarder ». Ils se sont fondés pour cela sur les dispositions de l’article L.110-1 du code de l’environnement qui prévoit que les milieux naturels font partie du patrimoine commun de la nation et que leur protection est d’intérêt général.
Aussi, l’ensemble des organismes gestionnaires d’espaces naturels est aujourd’hui en droit de faire reconnaître l’existence d’un préjudice écologique dès lors que l’infraction jugée affecte le territoire et les intérêts qu’ils ont légalement pour objet de défendre.

1. Art. L.253-1 du code rural codifié à l’art. L.132-1 du code de l’environnement.