Concertation

Co-construire un arrêté de protection de biotope pour protéger l’apron du Rhône

 

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Droit - Police de la nature

Dominique Chavy
Chargé de mission Patrimoine naturel - Parc naturel régional du Verdon

 

Sur le grand canyon du Verdon, diverses activités humaines menacent l’habitat de l’apron. Le parc naturel régional se positionne en médiateur. Les acteurs co-construisent leur réglementation.

Sur près de dix-sept kilomètres, le cours du moyen Verdon abrite un poisson emblématique et menacé, l’apron du Rhône. Cette rivière convoitée est aménagée avec plusieurs barrages hydroélectriques, aussi les lacs artificiels qui la jalonnent ont conduit au développement d’une activité touristique. Ainsi, en période estivale, certains secteurs connaissent de fortes pressions de fréquentation avec le développement des activités d’eau vive qui ont un fort impact sur le milieu naturel de reproduction de l’apron. Pour prendre en compte les enjeux de la préservation de l’espèce, plusieurs actions ont été menées par le Parc naturel régional du Verdon. L’une d’entre elles, dans le cadre du Sage, a conduit au rehaussement des débits réservés ; une autre à s’intégrer dans une opération Grand site. Toutefois cette logique de programmes ne permettait pas d’accéder à une approche globale.

Médiateur. Le contexte de tensions atteint son paroxysme en 2010 où les conflits d’usages se couplent aux inquiétudes grandissantes des professionnels sur le devenir de leurs activités (nouvelles mesures réglementaires). Le parc se positionne alors comme médiateur, engageant une démarche de concertation : comment mieux préserver ensemble un environnement exceptionnel et très fragile ?
Pendant près de deux ans, il s’agissait de co-construire un plan de gestion faisant le lien entre les différentes démarches engagées préalablement (OGS, Natura 2000, Sage) ; mais également de réfléchir à la mise en place d’un outil juridique performant pour protéger l’habitat de l’Apron. Sur ce chapitre, le choix d’un outil réglementaire a fait consensus. Restait à savoir lequel.

L’outil réglementaire. La piste de l’arrêté préfectoral de protection de biotope (APB) s’est vite imposée. Celui-ci, relativement souple, permettait la co-construction locale du projet de réglementation. Par ailleurs, il pouvait être envisagé comme une réglementation des activités ne s’appuyant pas uniquement sur des interdictions.
L’APB correspond aussi à l’idée d’une réglementation non figée, pouvant être redéfinie dans le temps, en fonction de l’évolution des enjeux et des pressions. Par ailleurs, il permet la mise en place d’un comité de suivi. Or, bien que consultatif, ce dernier était une revendication forte des acteurs du territoire.
Ajoutons que les critères d’éligibilité de l’outil semblaient favorables puisqu’ils supposent de respecter une égalité de traitement entre les citoyens (à moins de montrer qu’il y a une réelle différence d’impact sur les milieux entre telle et telle activité) et que son application est limitée dans l’espace (le périmètre doit être dûment justifié). On notera encore que l’APB peut se mettre en place en présence (même temporaire) d’une seule espèce protégée.
La chose peut prendre effet rapidement, sans impliquer de trop lourdes démarches administratives. Toutes les conditions semblaient réunies.
 

Idéal ? La réalité s’est révélée moins simple. En effet la rivière, milieu vivant amené à fluctuer dans l’espace et dans le temps, ne facilitait pas la définition d’un cadre imposé.
Cette réglementation « idéale » a alors été confrontée à la réalité des pratiques et de l’environnement du cours d’eau où le contrôle est mal aisé voire impossible. La difficulté d’accès à la rivière a constitué une difficulté supplémentaire.
Sur ce point, les gestionnaires du parc insistent sur la nécessité de ne rien improviser : pas d’écriture « théorique » sans s’être frotté tant au cours d’eau qu’aux pratiques qu’il abrite.

Dessaisis. La procédure de validation de l’arrêté de protection de biotope laisse également un grand blanc dans la concertation. À partir du moment où le projet est transmis aux services de l’État pour instruction, le parc n’a plus d’emprise sur le devenir potentiel du texte. Dans le cas présent, les acteurs peuvent se sentir dessaisis. La question a été particulièrement prégnante lors du passage en commission des sites. « Après deux ans de travail, il est un peu perturbant de savoir que votre projet va être examiné en vingt minutes par une commission dont les participants n’ont pas forcément suivi le dossier et n’en maîtrisent pas les enjeux », explique le chargé de mission du parc. Par ailleurs, les membres de ces commissions n’ont pas forcément de compétences en droit et ne connaissent pas le cadre juridique de tel ou tel outil réglementaire. « On nous a demandé par exemple d’ajouter des éléments à la rédaction du texte alors que ce n’est pas possible dans le cadre d’un APB. Il est vrai que l’avis des commissions demeure consultatif mais certaines remarques remettaient en cause le fond de la réglementation telle que validée lors de la concertation », rajoute le chargé de mission.
Le rôle du parc se limite alors à alerter les services de l’État sur ces aspects et sur l’importance du processus de confiance toujours fragile.
 

Efforts. L’arrêté pris, reste à savoir s’il est efficace. Sa pertinence reposera, pour beaucoup, plus sur un plan de communication renforcé et une animation continue visant à faire perdurer le sens de cette réglementation, que sur le texte lui-même, à défaut d’un animateur territorial qui s’y investisse. C’est là, clairement, une des limites des outils réglementaires.
Après deux ans d’animation renforcée, les équilibres et compromis sont toujours fragiles. L’animation implique disponibilité (et parfois épuisement !) pour l’équipe technique. Le temps mobilisé par la direction et plusieurs techniciens au sein des commissions tourisme, eau et patrimoine naturel, a représenté plus d’un équivalent temps plein à l’année.
Par ailleurs, le fait de travailler sur un projet de réglementation nécessite un minimum de compétences juridiques.
Le parc est mal armé dans ce domaine, comme certainement bon nombre de parcs naturels régionaux qui n’ont pas les compétences suffisantes ou mobilisables sur ces aspects. Heureusement, il a pu s’appuyer sur le service juridique du ministère de l’Écologie. Cet appui a permis au document d’être conforme au champ d’application des APB et de ne pas comporter de dispositions illégales. En effet, le service de contrôle de la légalité au sein des préfectures n’a pas forcément les moyens de se prononcer sur ces aspects.
On l’aura compris, un APB n’est rien sans accompagnement. Une fois l’arrêté pris, le travail est loin d’être terminé. Cela pose la question des financements nécessaires à ce type de dispositif, notamment pour ce qui concerne la signalétique. Au sein du parc, les débats ont été assez révélateurs du problème : est-ce au parc, aux communes, d’assurer la charge financière d’une protection relevant de la compétence de l’État ? Et si le parc n’en prend pas l’initiative, est-ce que ce n’est pas tout simplement enterrer le travail réalisé en amont ? Aujourd’hui, le débat est ouvert. •