Bon état écologique

 

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Des mots pour le dire

Christian Levêque
Directeur de recherches émérite IRD

Terme issu des politiques publiques, le « bon état écologique » est trop souvent présenté comme un terme scientifique. Or le concept ne relève pas de la science.

L’expression « bon état écologique » a été popularisée par la directive cadre sur l’eau1. Elle est trop souvent présentée comme un terme normatif : l’état de référence « pristine2 », qui précéderait toute intervention humaine. Cependant, comme cet état n’existe plus, on se réfère aux milieux qui sont supposés les moins perturbés, mesurés par leur « gradient de naturalité ». En réalité, le « bon état écologique » est une construction sociale qui évolue sans cesse. Ce n’est pas l’état figé d’un écosystème, c’est au contraire un état dynamique qui préserve des fonctions clés de l’écosystème. Il devrait donc reposer à la fois : • sur des principes écologiques, liés à l’hétérogénéité et la variabilité dans le temps et dans l’espace : ce sont là en effet les conditions d’expression de la diversité biologique3 ; • sur des choix sociaux : les fonctions clés de l’écosystème que nous souhaitons préserver pour remplir une fonction ou pratiquer une activité. Ce n’est pas seulement une donnée (référence rétrospective), mais une construction (référence prospective) à partir d’attentes et de revendications. Le « bon état » ne doit pas être un objectif nostalgique mais renvoyer aux fonctions exercées par les écosystèmes. Dispose-t-on des systèmes d’auto-épuration, de production biologique, de récréation, de paysages ? Le « bon état » n’a pas de caractère immuable. La nature que nous désirons aujourd’hui détermine notre perception actuelle du « bon état » mais elle n’est pas forcément la nature que nous voudrons demain. Or l’écosystème est le plus souvent approché par sa structure, supposée stable. Il faut la mesurer, quantifier, normaliser, ce qui conduit irrémédiablement à la figer. Des indicateurs biotiques sont utilisés, censés rendre compte de la diversité biologique, mais ces indicateurs globalisent, figent la perception de la nature, et en masquent le caractère dynamique. Le « bon état » écologique, terme issu des politiques publiques, trop souvent présenté comme un concept scientifique, ne relève donc effectivement pas de la science. C’est à la société de s’en saisir collectivement et d’y donner sens en respectant les contraintes d’expression des dynamiques naturelles.

1. Du 8 mars 2004. Actualisée le 22 février 2007.
2. Terme anglais renvoyant à l’idée d’un état vierge, antérieur à toute altération d’origine humaine.
3. L’article 2 de la Convention sur la diversité biologique, 1992 définit ainsi la diversité biologique (ou biodiversité) : « La variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. »