>>> Réserve naturelle géologique du Lubéron

Appliquer un règlement et obtenir des résultats durabl es : sur quels registres agir ?

 

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Droit - Police de la nature

Salomon Brodier
Biologiste

 

Intérêt scientifique, patrimonial ou pédagogique… les gisements fossilifères possèdent toutes ces qualités, et beaucoup d’autres, qui justifient leur conservation. La Réserve naturelle géologique du Lubéron a été créée en 1987. Le Parc naturel régional du Lubéron entendait répondre ainsi aux prélèvements anarchiques de fossiles. La Réserve protège près de 400 hectares répartis en 28 sites sur 20 communes. On y trouve notamment des terrains calcaires de l’ère tertiaire, particulièrement riches en vertébrés, insectes et végétaux. En 1996, un arrêté préfectoral interdépartemental a étendu le périmètre de protection de la réserve à 27 communes (70 000 ha). Certes, le seul fait de classer les sites a conduit à une baisse considérable du nombre de fouilles sauvages, cependant, surveillance et sensibilisation du public restent indispensables. Pour le personnel de la réserve, il s’agit donc d’assurer une présence, au moins dissuasive, sur le terrain mais également de développer signalétique, communication et pédagogie. Vaste programme dont la mise en œuvre n’a rien d’évident devant les fortes contraintes de surface, de temps et d’effectifs. La réponse : polyvalence et partenariat.

Appareil photo à la main, Stéphane Legal arpente « ses » terres… Nullement propriétaire, le jeune homme assure une mission de service public : il veille sur les riches gisements fossilifères de la Réserve naturelle géologique du Lubéron. Gardes de l’ONF puis membres de l’association « Gardes nature en Lubéron » ont successivement rempli cette fonction pendant plusieurs années, avant qu’elle n’incombe directement aux deux uniques salariés de la Réserve : Christine Balme et Stéphane Legal. Depuis, ils ont cherché des solutions pour organiser au mieux la surveillance. L’appareil photo numérique est devenu un outil privilégié. « À défaut d’assurer une présence permanente sur le terrain, je fixe des patrouilles régulières et prends des photos que j’intègre ensuite dans une base de données. Ainsi, je suis visuellement l’évolution des sites sensibles. » Pour autant, fort de cette information, le garde est-il vraiment efficace pour protéger la réserve ? Rien n’est moins sûr : « Il reste difficile pour nous d’assurer une surveillance complète. Or, un manque d’efficacité peut favoriser les fouilles illégales et avoir un impact sur notre crédibilité auprès de nos partenaires et des collectionneurs ». Quand, au hasard d’une sortie, il rencontre une personne occupée à fouiller, en toute illégalité, les choses se compliquent. Que faire, comment réagir ? Aujourd’hui, il lui faudrait être commissionné pour pouvoir agir, or, le contrat « emploi jeune » d’un établissement public dont disposait encore récemment Stéphane Legal ne lui a pas permis d’acquérir ce statut. « Il y a deux ans, à Viens, nous avons fait appel aux gendarmes pour dresser un procès-verbal. Mais, entre-temps, les personnes s’étaient enfuies. La longue enquête qui a suivi a été classée sans suite, et ce, malgré la reconnaissance formelle d’une des personnes par la conservatrice… Toutes ces démarches sont compliquées… sans résultat… ça laisse un goût amer ».
Sans pouvoir de police, les gestionnaires de la réserve ont le sentiment d’assurer plus difficilement leur mission de surveillance. Non que la verbalisation soit un but en soi. « Aujourd’hui, notre efficacité repose sur notre capacité à réagir rapidement aux différentes situations rencontrées ». Jusqu’ici, la procédure type consistait pour Christine Balme et Stéphane Legal à porter plainte contre X, en cas de découverte de fouilles illégales sans constat de flagrant délit. Certes, ces démarches n’ont jamais abouti, pourtant elles n’en gardent pas moins un aspect dissuasif.
Former les enseignants pour sensibiliser
la jeune génération
La façon d’agir est toutefois différente entre les sites situés en Réserve naturelle et ceux appartenant au périmètre de protection. Sur les premiers, une signalétique a été installée dès la création de la Réserve, la surveillance et la stricte application de la réglementation y sont pratiquées. Sur le périmètre de protection par contre, ce sont la communication et le dialogue que les gestionnaires privilégient. Sur cette base, l’idée de mettre en place une signalisation s’est alors très vite imposée. « Nous voulons que les personnes susceptibles de faire des fouilles n’ignorent plus l’existence de la zone de protection ». La signalisation est donc devenue un outil de travail tournée vers les visiteurs mais également vers les populations locales. « Les panneaux doivent permettre de sensibiliser les habitants du village à la richesse de leur sous-sol. En espérant qu’ils soient attentifs aux fouilles sauvages et que chacun prenne sa part de responsabilité ». Est-ce que cela fonctionne ? Depuis que la signalétique est installée, peut-on noter un changement de comportement ? « L’effet est difficile à quantifier d’autant qu’il s’inscrit dans une action plus générale où la presse locale constitue une alliée efficace. Certes, il convient de solliciter les médias avec prudence et, surtout être vigilant à ne pas alimenter la polémique. D’autant que les propriétaires tiennent à leur tranquillité. Mais, oui, la communication est un outil efficace. Quoi qu’il en soit, il faut se rendre à l’évidence, une personne ne peut, à elle seule, assumer une surveillance constante. Sensibiliser, former, accueillir, le triptyque de la communication est incontournable. Nous sommes obligés de former des relais si nous ne voulons pas être seuls ».
Les gestionnaires organisent donc des formations pour les professionnels du tourisme (gîtes, offices de tourisme, professeurs, grand public…). « En 2002, j’ai encadré trois journées de terrains pour les éducateurs à l’environnement, explique Stéphane Legal. L’objectif des stages visait la sensibilisation à la protection du patrimoine géologique et l’approfondissement des notions de géologie. Plusieurs accompagnateurs en montagne, qui ont suivi ce stage, travaillent en partenariat avec la Réserve sur des actions éducatives de l’école primaire au collège. »
La Réserve intervient également dans le cadre d’une action expérimentale en partenariat avec la cité scolaire d’Apt, au cœur du Lubéron. Après une analyse croisée des programmes d’enseignement et des ressources du territoire, un parcours éducatif a été défini avec des professeurs des différentes disciplines et des techniciens du Parc. Cette année, la Réserve intervient auprès de onze classes de 4e, d’enseignement classique à professionnel. « En novembre, nous avons proposé aux enseignants du bassin d’Apt un stage de découverte de la géologie et du patrimoine géologique sur plusieurs lieux de la réserve ; au printemps les élèves se rendront sur le terrain avec leurs professeurs et bénéficieront également d’animations et d’expositions itinérantes dans l’établissement. L’expérience sera reconduite l’année prochaine. »
Depuis plusieurs années, les actions menées par la Réserve à destination d’un large public (habitants, scolaires, touristes…) viennent ainsi appuyer sa mission première de
protection. Même si le recul manque encore pour évaluer ces démarches, la Réserve bénéficie donc d’outils attractifs et prometteurs pour promouvoir son patrimoine.