>>> réserve naturelle de l’étang du Grand-Lemps (Isère)

Amphibiens

 
des moyens pour leur sauvetage

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Méthodes - Techniques

Grégory Maillet
Garde de la Réserve naturelle de l’étang du Grand-Lemps

 

La méthode de sauvetage des amphibiens, mise au point par la Réserve naturelle de l’étang de Grand-Lemps a permis de sauver des milliers d’animaux. Mais, plus encore, la connaissance fine des lieux de passage préférentiels par espèce et l’estimation des populations respectives sous-tendue par cette méthode, permet de concevoir des batracoducs, seule solution vraiment efficace sur le long terme.

Il suffit d’un véhicule par minute pour écraser neuf crapauds sur dix !. Entre Grenoble et Lyon, au creux des collines boisées du Bas-Dauphiné, dans un petit bassin versant inscrit à l’inventaire des sites Natura 2000, se trouve la Tourbière du Grand-Lemps. Cette zone humide d’une cinquantaine d’hectares, au patrimoine naturel exceptionnel, est entourée de routes qui rendent délicates les migrations animales. Au printemps, lors de la migration prénuptiale, les amphibiens se faisaient écraser par milliers. Depuis les bois où ils passent l’hiver, ils tentaient
de rejoindre la zone humide où ils se
reproduisent.
Crapaud commun, sonneur à ventre jaune, grenouille verte, grenouille rousse, grenouille agile, salamandre tachetée, triton crêté, triton alpestre, triton ponctué et triton palmé… Avec dix espèces présentes sur le site, les amphibiens constituent un fort enjeu patrimonial à préserver. C’est en effet, le seul endroit connu en Rhône-Alpes à héberger les quatre tritons présents dans la région. Par ailleurs, la population de Triton ponctué y est isolée, elle représente la limite sud de l’aire de répartition française pour l’espèce. Mais, outre cet intérêt patrimonial, les amphibiens représentent un maillon clé dans les chaînes alimentaires, une biomasse indispensable au bon fonctionnement de l’écosystème zone humide.
En 1995, la création de la Réserve naturelle et la nomination d’un gestionnaire bénéficiant d’un financement de l’État, permettent d’engager un programme visant à réduire la mortalité des amphibiens en migration.
Le programme débute avec le pointage des écrasements sur le principal secteur concerné. Le relevé s’effectue en parcourant la chaussée à pied. À pied et non en voiture, car les tritons écrasés passent très facilement inaperçus. Ce comptage doit s’opérer au lever du jour, avant le passage des corneilles qui, repérant vite l’aubaine, ne tardent pas à faire place nette…
Numéroter les bandes blanches du milieu de la route a d’abord paru pratique pour localiser les écrasements, mais cette technique a vite été abandonnée. En effet, la longueur des bandes n’étant pas constante, dans les virages par exemple, il est difficile de reporter les informations sur un plan. De plus, une réfection de voirie peut très vite aboutir au recouvrement des repères. La technique retenue a consisté à choisir un point fixe et durable, tel une pile de pont. Puis, à partir de ce repère et à l’aide d’un topofil, de métrer le linéaire par des marques de peinture au sol. En cas de disparition des marques, il est alors assez rapide de reprendre la longueur au topofil.
Ce premier repérage a permis de déterminer l’emplacement des points « délicats » et, du même coup, de définir la disposition ultérieure des dispositifs de sauvetage.
Quel dispositif choisir ?
Outre le sauvetage des amphibiens, le dispositif devait nous permettre de mieux connaître, en qualité et en quantité, la population amphibienne migrante. Notre objectif étant, à long terme, la mise en place de solution plus pérenne telle la création de batracoducs.
Nous avons alors retenu de poser un obstacle sur l’axe de migration des amphibiens en l’amont immédiat de la route. Par contre, nous ne sommes pas intervenus sur la migration retour. Trop étalée dans le temps, celle-ci est lourde à gérer. Nous avons donc paré à l’essentiel : faire en sorte que les animaux puissent descendre à l’eau et se reproduire en nombre.
Entre 1996 et 2003, des milliers de tritons chaque année ont pu être comptés, alors qu’auparavant quelques dizaines seulement avaient été observées sur l’ensemble du territoire de la Réserve.
Nous avons testé plusieurs types d’obstacles : matériaux, coût, temps de pose, efficacité… Il aura fallu trois ans d’essais pour que le dispositif soit opérationnel. La description de notre tâtonnement et les solutions préconisées sont clairement expliquées dans le tableau ci-dessous. Nous retiendrons que le dispositif de piégeage par barrière est un des rares moyens accessibles au gestionnaire pour opérer une évaluation précise des populations d’amphibiens d’un site.
Cependant…
Si ce travail a permis le sauvetage de milliers d’amphibiens, maillon écologique essentiel au fonctionnement de la zone humide, il n’a de sens (outre la recherche fondamentale) que si l’objectif final vise à la réalisation d’un batracoduc. En effet, la pose et le suivi d’une barrière et de seaux sont une opération assez lourde. Il est difficile de la renouveler ad vitam aeternam et, lorsqu’elle s’arrête, l’hécatombe recommence… Aussi, seul un aménagement pérenne est réellement efficace.
Les chiffres de notre étude ont alors permis au Pr. Joly, spécialiste de la dynamique des populations, d’estimer que les populations étaient viables et que l’on pouvait entreprendre des investissements lourds pour leur conservation. La connaissance fine des lieux de passage préférentiels par espèce et l’estimation des populations respectives a permis de concevoir des batracoducs et de leur conférer toute leur efficacité.