Anada Tiega, Secrétaire général de la Convention internationale de Ramsar

Au service des zones humides

 

Espaces naturels n°32 - octobre 2010

L'entretien

 

 

 

 

 

Tout de go, qu’est-ce qui vous inquiète le plus vis-à-vis de la conservation des zones humides ?
Prioritairement ? Les industries extractives. Les gens ont besoin d’énergie et les compagnies vont la chercher là où elle se trouve. Quitte à prendre des risques écologiques extrêmes.
Voyez ce qui arrive aux États-Unis et imaginez la même chose en Afrique où les populations vivent de la pêche. La dégradation serait irréversible.
Les industries extractives sont très puissantes : beaucoup d’argent, beaucoup d’influence… Ni les dirigeants politiques ni les utilisateurs n’auraient assez de poids pour faire face aux compagnies qui agiraient comme bon leur semble. Aussi, pour réussir, nous devons œuvrer avec elles et non contre elles.
Nous travaillons donc pour affiner des partenariats avec le privé. Mais nous y allons prudemment, dans le respect de principes arrêtés en 2008, lors de 10e conférence des parties.

Quel est l’atout maître ?
Nous appréhendons l’action en faveur des zones humides dans le cadre du bassin hydrologique.
Cette vision plus large permet de prendre en compte tous les intérêts
et toutes les activités liées à ces zones. Elle permet également de procéder à une approche internationale. Prenons le cas de l’Okavango au Botswana (Afrique méridionale). Ce site est dans un désert. L’eau arrive principalement d’Angola. Elle traverse aussi la Namibie. Deux pays qui ont de très grands besoins d’eau.
Si l’on veut gérer correctement l’Okavango, il faut comprendre le contexte social et international.
Et il y a beaucoup d’intérêts…
Regardons la pêche par exemple. Qu’allez-vous privilégier ? La pêche de subsistance pratiquée par des populations pauvres ? La pêche commerciale ? La pêche sportive pratiquée par des touristes ? Conserver le milieu peut aboutir à prendre des décisions visant à empêcher la pêche de subsistance. C’est tentant : le tourisme est producteur de richesse.
Pourtant cette solution n’est pas « durable ». Oublier les populations autochtones, c’est créer une tension telle qu’à un moment donné les gens n’auront plus rien à perdre.
Gérer les zones humides, c’est donc un long processus qui inclut les questions sociales, économiques, culturelles et même politiques.
Pour l’Okavango, notre démarche pour un plan de gestion date de 2003.
Pour éviter l’hégémonie d’un pays sur un autre pour s’approprier l’eau, une commission internationale des trois pays est chargée de gérer l’ensemble du bassin. Ramsar est là pour appuyer.
C’est parce que nous considérons la zone humide dans son contexte qu’il est possible de faire valoir ses valeurs aux yeux de différents intérêts afin que ceux-ci convergent vers la conservation et l’utilisation durable.

Pourquoi mettre toute cette énergie au service de ce seul écosystème ?
Parce qu’il est tranversal. Je vous expliquais sa dimension internationale et le fait qu’il touche aux intérêts des différents acteurs économiques. Mais les zones humides sont aussi présentes en forêt, en montagne, dans les savanes, les déserts… Elles font partie de l’équilibre d’autres écosystèmes. Autrement dit, gérer efficacement les zones humides suppose de gérer avec ceux qui s’occupent d’autres écosystèmes.
Par ailleurs, ces zones touchent à des problématiques sociales, sanitaires, économiques, ou encore de sécurité alimentaire.
Il faut 1 000 litres d’eau pour produire un litre de lait ou 14 000 litres pour un kilo de viande. On comprend bien que traiter de l’eau, c’est traiter d’un élément vital.

Une raison d’espérer ?
Il fut un temps où les gens pensaient qu’il fallait faire disparaître les zones humides. Aujourd’hui, leur valeur est reconnue. Je vois, j’entends, que les populations comprennent qu’elles ne peuvent subsister sans zones humides saines et productives.