Recréer une forêt perdue

 

Espaces naturels n°45 - janvier 2014

Gestion patrimoniale

Marie Ly
Conservatoire du littoral, délégation Réunion
Pascal Truong
Parc national de La Réunion

Dans quelques mois le projet européen Life+ Corexerun en faveur de la sauvegarde de la forêt semi-sèche de La Réunion, prend fin après 5 ans d’existence. Retour sur une des actions phares du projet : la reconstitution de 9 hectares de forêt.

© Marie Ly - Conservatoire du littoral

Sur une île peuplée par l’homme depuis seulement la fi n du 17e siècle, l’idée de recréer l’écosystème « d’avant l’arrivée de l’homme » est séduisante. Mais les connaissances sont trop fragmentaires et le milieu trop dégradé ou transformé depuis pour en avoir une image fidèle. L’objectif à long terme est donc de retrouver un écosystème fonctionnel ayant avant tout une vocation expérimentale et pédagogique. Un site accessible –à 30 minutes de marche à pied- est alors choisi pour y planter des espèces présentes dans les zones relictuelles alentour. Il est décidé de s’occuper des strates arbustives et arborées en espérant que les orchidées, fougères, insectes et oiseaux, reviendront peupler cette forêt. On pourrait réintroduire des tortues terrestres ou des perruches, plus tard… Aucune action de ce type et de cette ampleur n’a été menée auparavant à La Réunion.

Un écosystème unique et menacé

© Marie Ly - Conservatoire du littoralLa forêt semi-sèche est marquée par une température élevée (en moyenne entre 18 et 24°C) et par une forte saisonnalité des précipitations (1). Ainsi elle était présente sur une moitié ouest de l’île, depuis le littoral jusqu’aux mi-pentes, ainsi que dans les cirques de Mafate et Cilaos. Cet habitat était le refuge d’espèces emblématiques aujourd’hui disparues -tortues terrestres, perruches, nombreux insectes- qui jouaient certainement un rôle essentiel dans la pollinisation et la dissémination des espèces végétales. Cette zone  rapidement convoitée par l’Homme a subi de multiples transformations : défrichements, urbanisation, mise en culture. Aujourd’hui, il resterait 1 % de la surface originelle – soit environ 550 hectares – sous forme de fragments situés dans des zones peu accessibles à l’homme. Les incendies et les espèces exotiques envahissantes – végétales et animalesconstituent désormais les principales menaces qui pèsent sur cette forêt.
En 2007, un projet LIFE+ en faveur de la sauvegarde de la forêt semi-sèche est déposé à la Commission européenne. L’objectif est partagé mais par où commencer ? Le remplacement du milieu, extrêmement dégradé passe par une opération consistant à replanter 90 000 plants de 48 espèces différentes, protégées ou non. Mais il faut, pour être cohérent, prévoir également la lutte contre les espèces végétales envahissantes et des plantations de renforcement sur 30 hectares de forêt plus ou moins bien conservée. Une troisième action vient en amont : récolter en milieu naturel les semences nécessaires et produire les 100 000 plants nécessaires.
La gestion d’un projet LIFE+ impose un porteur de projet aux capacités financières et administratives solides. C’est alors naturel que le jeune Parc national de La Réunion, créé en 2007, endosse ce rôle. La maîtrise du foncier par un opérateur public – Conservatoire du littoral principalement, Ministère de la Défense, Conseil général de La Réunion – est un deuxième critère incontournable. Le Parc et le Conservatoire s’associent étroitement en tant que coordonateur et bénéficiaire associé du projet pour mener à bien les actions. Le département, la région Réunion et l’état (DEAL) cofinancent le projet. Après 3 mois d’échanges intensifs avec la Commission européenne, le projet obtient son soutien : c’est le premier Life+ Biodiversité de l’outre-mer français.
Des échanges et ateliers de travail auxquels participent Mauriciens et Rodriguais, déjà expérimentés, ont permis de définir des protocoles de plantation. Une première difficulté  réside dans l’écriture du cahier des charges du marché qui prévoit la préparation du terrain (lutte contre les espèces exotiques envahissantes et travail du sol),

 

l’implantation des protocoles et la plantation de 90 000 plants et qui permet de s’adapter au matériel vivant, au climat, à la production de plants. L’enveloppe budgétaire dédiée à l’action, estimée en amont, est en dessous des prix proposés par les différents prestataires. L’une des solutions à ce surcoût a été de développer des chantiers bénévoles.

 

De la Théorie à la pratique

Même si le travail intellectuel est riche, l’action n’existe jusqu’alors que sur le papier. Les travaux démarrent finalement mi-2011. Depuis, les surprises, bonnes ou mauvaises, se succèdent. Nous découvrons des parties du terrain impossibles à planter, un sol difficile à travailler sans mécanisation, un lot de 100 000 graines d’une même espèce donnant seulement quelques plantules... Le nombre de plants par espèce à réintroduire dans le milieu est déterminé par le stade dynamique, le caractère héliophile ou sciaphile et la rareté de chacune des 48 espèces. La réalité de la production et les enseignements tirés de la première année de plantation imposent de modifi er ce tableau de nombreuses fois. Il faut aussi jongler avec la météo en période cyclonique, avec les retards de chantier dus à la casse de matériel ou à un prestataire de la chaîne de travaux et subir les saisons parfois (très) sèches. Beaucoup d’argent, beaucoup d’énergie mais une dynamique lancée.
On pense au départ que cela va être simple… Ce n’est pas le cas. L’adaptation est un des maîtres-mots du projet. Les innombrables échanges pour anticiper au mieux et trouver des solutions aux problèmes soulevés au fur et à mesure, ainsi que la présence quotidienne sur le terrain représentent un volume horaire et des coûts, prévus ou cachés, colossaux. Certaines questions posées restent à ce jour sans réponse, d’autres connaissent des réponses et des réussites aussi spectaculaires qu’inattendues. Tous les  éléments de ce projet, qui s’inscrit dans une démarche de recherche-action, seront de toute façon utilisables à l’avenir.
Cela demande aussi un travail de compte-rendu très consciencieux : tout ce qui est fait est consigné par écrit, pour justifi er la bonne utilisation des fonds, partager l’information et assurer la continuité de l’action.
Finalement les objectifs initiaux sont atteints : la plantation de 90 000 pieds de bois de 48 espèces différentes a bien eu lieu. Le projet a permis à des acteurs majeurs de la protection des espaces naturels de travailler ensemble, eux qui bien souvent oeuvraient jusque-là dans leur pré carré. Il a aussi conduit à travailler avec des prestataires variés et avec la société civile dans le cadre d’actions de sensibilisation et de chantiers bénévoles. Enfin, il aura permis d’initier une dynamique de travail quasi-quotidienne entre le Parc national et le Conservatoire du littoral, qui se poursuivra sans aucun doute dans le cadre de leurs missions pérennes. Car le défi de recréer un écosystème ne s’arrête pas là : il faudra assurer un entretien et un suivi régulier permettant d’évaluer le succès de cette opération dans plusieurs années.

(1) La moyenne annuelle est de 500 à 1600 mm. L’été -entre décembre et mars- surviennent 90 % des précipitations et la période de sécheresse dure entre 6 et 8 mois.