Protéger le potentiel évolutif
Face aux changements climatiques, les organismes et les communautés disposent de capacités de réponses de différentes natures. La diversité biologique dans ses différentes dimensions (diversité d’espèces dans un écosystème, diversité de traits au sein d’une espèce, diversité génétique) est le moteur de cette flexibilité. Il devient toutefois manifeste que les changements environnementaux en cours sont d’une ampleur sans commune mesure avec ceux auxquels la biodiversité a été confrontée jusqu’alors et qu’ils pourraient excéder largement certaines de ses capacités de réponse.
Au sein d’un écosystème
La composition en espèces peut varier du fait de l’extinction de certaines d’entre elles, de la prolifération d’autres. En effet, les espèces qui composent les communautés ne sont pas également vulnérables face aux changements climatiques : on note par exemple, à l’échelle de l’Europe entière, un net enrichissement en espèces thermophiles des communautés locales d’oiseaux et de papillons. Ces changements de composition des communautés peuvent être dus au déclin d’espèces adaptées aux climats plus froids, aussi bien qu’à l’accroissement et à la migration vers le nord d’espèces adaptées aux climats plus chauds. Cette remontée vers le nord des communautés ne se fait pas au même rythme chez les oiseaux (37 km de 1990 à 2008) et les papillons (114 km dans la même période), ce qui peut perturber les chaînes alimentaires, et reste bien inférieur au décalage vers le nord des températures (239 km dans la même période).
Au sein d’une espèce
La migration permet d’échapper à des conditions devenant défavorables et de coloniser des zones plus propices. Cette traque de l’habitat est un mécanisme bien documenté chez de nombreux organismes animaux ou végétaux, marins ou continentaux. Le réchauffement global conduit à des déplacements d’aires de distribution, en latitude ou en altitude. Les capacités migratoires sont donc variables entre espèces mais aussi au sein des espèces : par exemple, la fréquence des formes ailées est plus grande dans les sites récemment colonisés chez deux espèces de criquets dont l’aire de répartition s’est fortement étendue au Royaume-Uni suite aux changements climatiques. Inversement, la fragmentation des paysages, en augmentant la mortalité lors des mouvements, contre-sélectionne les individus les plus aptes à migrer. Les réponses au changement climatique sont donc contraintes par d’autres composantes des changements globaux.
Au sein d’une population
Des changements dans la fréquence de différents variants génétiques en réponse à différentes pressions évolutives liées au changement climatique conduisent à une évolution génétique des populations. Cet avantage de certaines formes génétiques plus adaptées sous des climats chauds peut conduire à la disparition d’autres formes et donc à un appauvrissement génétique des populations, compromettant leurs capacités d’adaptation future. Chez le lézard vivipare, la forte augmentation en fréquence de formes plus mélanisées, plus tolérantes aux températures élevées, a conduit à une baisse des capacités de dispersion, car ces formes sont aussi moins mobiles. L’adaptation au réchauffement compromet donc les capacités de l’espèce à migrer pour rechercher un climat plus favorable au nord.
Au niveau individuel
La plasticité phénotypique permet de faire varier les traits exprimés par un même individu en réponse à une augmentation de la température. Les changements dans les dates d’activités saisonnières telles que la floraison chez les plantes, ou les migrations chez les animaux en réponse au changement climatique sont en grande partie imputables à ces ajustements individuels. Par exemple, les mésanges sont capables d’avancer leur date de ponte en réponse aux températures printanières plus élevées. Cet ajustement n’est pas toujours parfait, compromettant la survie des poussins : ce décalage ne pourrait alors être réduit que par une évolution génétique des populations. Lorsqu’une population est soumise à un stress intense, l’adaptation est l’issue incertaine d’une course entre déclin et évolution : il s’agit de s’adapter avant de s’éteindre. Ainsi, plus les populations sont de grande taille, plus la variabilité génétique y sera importante et plus la population présentera un potentiel adaptatif important. Inversement, on peut douter du rôle que l’adaptation spontanée pourrait jouer dans le maintien de populations d’espèces rares, peu abondantes, appauvriesgénétiquement et soumises à de multiples pressions. Restaurer ce potentiel d’adaptation devient alors un enjeu pour leur conservation dans un monde changeant.