pour optimiser un suivi ornithologique…
Espaces naturels n°16 - octobre 2006
Bernard Cadiou
Bretagne Vivante - SEPNB, brest. Chargé de mission Oiseaux marins
Gaëlle Vives
Master eegb sciences de l’environnement terrestre, université Marseille.
Comment optimiser un suivi biologique, à court ou long terme ? Cette question se pose fréquemment pour les gestionnaires d’espaces naturels confrontés au problème de l’adéquation entre les objectifs fixés et les moyens financiers et humains disponibles.
Dans la Réserve biologique de Goulien (cap Sizun, Finistère sud), un suivi naturaliste de routine permet de recueillir un minimum d’informations sur la faune et la flore. Les données recueillies depuis les années 1980 ont mis en évidence un changement récent de situation pour le fulmar boréal. En 2004, vingt-deux pontes sont répertoriées mais seulement deux jeunes survivent jusqu’à l’envol. Les causes exactes de cet échec de la reproduction ne sont pas identifiées, mais des problèmes de disponibilité des ressources alimentaires sont probablement responsables. Dans ce con-texte, la poursuite des suivis apparaissait donc primordiale. Durant la saison de reproduction 2005, une étude spécifique est alors réalisée. Elle vise, bien sûr, à mieux connaître la biologie du fulmar, mais également à optimiser la collecte de données en limitant les suivis à quelques périodes clés.
Méthode de suivi
Le suivi s’effectue de mars à août, les différentes falaises occupées par les fulmars font l’objet de visites quasi quotidiennes. Le fulmar boréal commence à fréquenter les falaises bretonnes durant l’hiver. Les couples s’établissent sur des corniches, où l’œuf unique est pondu à même le sol. La ponte a lieu durant la seconde quinzaine de mai, l’incubation dure environ quarante-neuf jours et la période d’élevage environ cinquante-trois jours : les jeunes quittent leur falaise natale fin août ou début septembre. Le fait que le fulmar ne construise pas de nid et que de nombreux individus ou couples non reproducteurs occupent régulièrement des sites de reproduction complique le recensement des couples nicheurs. L’unité de dénombrement à considérer est donc le site apparemment occupé (SAO), défini selon quelques critères précis (comportement de l’oiseau et caractéristiques du site).
Les falaises sont cartographiées et un numéro est attribué aux sites occupés par les fulmars. À chaque visite, pour chaque site potentiel de reproduction, différentes informations sont notées sur des bordereaux standardisés (nombre d’adultes présents, position d’incubation ou non, présence d’un œuf ou d’un poussin, etc.). Une session d’observation débute par un balayage rapide de l’ensemble des sites, réalisé avec des jumelles. Puis, dans un deuxième temps, chacun des sites est examiné minutieusement à la longue vue pour essayer d’en connaître le contenu exact. La présence effective d’un œuf sous un couveur potentiel est assez difficile à vérifier et demande parfois de nombreuses heures d’attente.
Le bilan de chaque journée d’observation permet d’obtenir le nombre total d’oiseaux fréquentant les falaises, le nombre de sites apparemment occupés ponctuels (SAOp), ainsi que le nombre de sites avec reproduction identifiables (SARi), c’est-à-dire les sites pour lesquels une preuve de reproduction est visible (observation d’un œuf ou d’un poussin, d’un bout de coquille…). Le bilan d’un tel suivi, quasi quotidien, est évidemment très précis.
Fréquence des suivis
et qualité de l’information
La question est alors de savoir s’il est possible de diminuer la fréquence des suivis sans perdre de qualité d’information. À partir des données collectées, d’autres fréquences de suivis sont alors simulées. Que se passe-t-il si l’on élimine une partie de l’information pour ne conserver que trois, puis un seul, passages hebdomadaires ?
Sur la base du suivi tri-hebdomadaire, l’évolution temporelle du nombre de SAOp et de SARi reste très proche de celle obtenue dans le cadre du suivi quasi quotidien. Les grands événements du cycle de reproduction sont bien mis en évidence, comme le maximum de fréquentation à la fin avril et la chute des effectifs durant la deuxième semaine de mai…
Sur la base d’un seul suivi hebdomadaire, les grands événements du cycle de reproduction demeurent bien mis en évidence et le schéma général des courbes d’évo-lution des SAOp et SARi reste inchangé. L’aspect très fluctuant de la fréquen-tation des falaises, mis en lumière par un suivi quasi quotidien, est par contre complètement occulté.
Chez cette espèce, ce sont surtout les informations concernant les preuves de reproduction qui deviennent moins précises avec la réduction de la fréquence des visites. La moyenne des SARi est réduite d’un tiers environ. La moyenne des SAOp reste quant à elle similaire.
Mise en place
d’un planning opérationnel
Sur la base de ces projections, un planning opérationnel détaillé des sorties sur le terrain a donc été élaboré. Il est basé sur l’identification des périodes clés du cycle de reproduction. Cet outil dynamique d’aide à la décision permet une adaptation permanente, en cours de saison, pour intensifier ou au contraire alléger la fréquence des suivis sans risque de perdre des informations biologiques essentielles. Cet outil permet d’envisager un meilleur aménagement du temps de travail du personnel selon les objectifs fixés (voir planning ci-contre).
Un suivi minimum nécessite trois passages répartis sur une quinzaine de jours en juin pour identifier les SAO, un passage, facultatif, durant la dernière semaine de juillet pour estimer le taux d’éclosion, et un passage obligatoire au début de la deuxième quinzaine d’août pour estimer la production en jeunes.
Pour un suivi plus régulier, un passage hebdomadaire, au minimum, est recommandé à partir de la première semaine de mai.
Enfin, pour un suivi approfondi, il faut augmenter la fréquence des visites à certaines périodes clés : après la mi-avril, de la mi-mai à la mi-juin, en début juillet, et fin août-début septembre. Durant les périodes intermédiaires, un suivi de routine hebdomadaire est assuré et intensifié dès l’observation des premières pontes ou des premières éclosions. Seul ce suivi peut fournir des informations très précises sur le nombre exact de pontes, le taux d’éclosion, la nature et les périodes des échecs (au stade de l’œuf ou du poussin) et l’envol des jeunes.
La même démarche
peut être adaptée
Le cas présenté est simple. En effet, le fulmar est une espèce dont le déroulement du cycle de reproduction ne montre pas de variabilité interannuelle. Pour adapter cette méthode à des espèces dont les cycles de reproduction sont plus variables, il est nécessaire de commencer par quelques années de suivis approfondis. Ils permettent d’identifier les périodes clés et d’élaborer un planning opérationnel standard. Ensuite, des visites en début de saison permettent d’estimer le futur déroulement des pontes et d’ajuster le planning en le décalant, dans un sens ou dans l’autre. Cette approche peut aussi être envisagée en considérant plusieurs espèces à étudier au même endroit, avec la visualisation simultanée des périodes clés pour chacune d’entre elles.
Il ne faut pas oublier cependant que les suivis scientifiques, très précis, restent des outils incontournables, pour lesquels des moyens spécifiques doivent pouvoir être régulièrement débloqués.