Législation

Police de l’environnement : des prérogatives renforcées

 
Droit - Police de la nature

Nicolas Manthe, DDTM34, nicolas.manthe@herault.gouv.fr

Mathieu Labrande, Ecol'au droit, mathieu.labrande@ecolaudroit.fr

Le renforcement des prérogatives de police judiciaire de la police de l’environnement s’est accentué en 2019 par deux lois : la loi dite justice1 de mars et la loi créant l’Office français de la biodiversité (OFB)2 de juillet.

Prélèvement ADN d'un ouistiti lors d'une saisie.© Thierry Josse - OFB

Prélèvement ADN d'un ouistiti lors d'une saisie.© Thierry Josse - OFB

Depuis juillet 2013, les inspecteurs de l’environnement et les autres agents chargés de protéger l’environnement disposent de prérogatives de Police judiciaire (PJ) étendues pour rechercher et constater les infractions environnementales. La création de l’OFB, en 2020, constitue une nouvelle étape dans la montée en puissance du droit pénal environnemental accompagnant la prise de conscience sociétale de l’importance des enjeux environnementaux. Certaines dispositions sont des adaptations liées à l’expérience acquise depuis 2013 ; d’autres ont pour objectif d’unifier la conduite des enquêtes environnementales au profit des agents spécialisés de la police de l’environnement. Ces dispositions concernent selon les cas tous les policiers de l’environnement y compris ceux de l'ONF, les seuls agents publics, les inspecteurs de l’environnement ou plus spécifiquement encore les inspecteurs de l’environnement affectés à l’OFB.

TOUS LES AGENTS

Nature et gestion des biens saisis

Cette mesure réforme la gestion des biens saisis en fonction de leur nature (mesure de placement, remise dans le milieu, destruction, vente, etc.) Elle prévoit également que tous les animaux et végétaux viables saisis, quel que soit leur statut (domestique, sauvage, dangereux), doivent pouvoir faire l’objet d’une mesure de placement dans un lieu de dépôt prévu à cet effet, à titre transitoire. Cela permettra notamment de gérer les délais transitoires d’exécution en cas d’appel d’une mesure de destruction. Lorsque la conservation de ces animaux, végétaux et objets n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, les agents habilités pourront, sur autorisation du procureur de la République, effectuer plusieurs types d’actes en fonction des situations :

  • la remise dans leur milieu d’origine s’ils ont été saisis dans un état viable ;
  • La destruction pour les animaux susceptibles de causer des dégâts ;
  • pour les autres animaux et végétaux : le placement (dans un lieu de dépôt, auprès d’une fondation ou d’une association de protection animale), la vente ou encore la destruction ;
  • la destruction pour les objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles ou dont la détention est illicite.

La mesure permet désormais de saisir, outre l’objet de l’infraction, les produits directs ou indirects de cette infraction. La possibilité de détruire des animaux et végétaux morts ou non viables est étendue aux espèces indésirables (espèces exotiques envahissantes ou certaines espèces indigènes dont l’introduction dans le milieu, notamment pour des motifs sanitaires, est illicite ou dangereuse).

La gestion des animaux et végétaux viables et autres objets saisis est simplifiée et alignée sur le régime de droit commun du Code de procédure pénale (art. 41-5 et 99-1), facilitant le travail des magistrats et enquêteurs. À l’exclusion de celles des animaux et végétaux morts ou non viables, la destruction des animaux, végétaux ou objets saisis est effectuée sur autorisation du procureur de la République Par ailleurs, les biens saisis ou confisqués pourront être affectés à l’Office français de la biodiversité. Cette prérogative devient applicable aux agents des réserves naturelles employés par une personne privée (art. L.332-20 du Code de l’environnement).

Anonymisation des copies des procèsverbaux de constatation d’infractions

Cette mesure vient limiter les effets de l’obligation de transmettre une copie du procès-verbal de constatation d’infraction au contrevenant, introduite en août 2018. Elle permet, par exception, l’anonymisation de la copie du procès-verbal transmis au contrevenant. La décision d’autorisation d’anonymisation relève de l’appréciation du procureur de la République. Cette décision doit se fonder sur les circonstances susceptibles de mettre en danger la vie ou l’intégrité physique de personnes apparaissant dans la procédure. En effet, des pressions, menaces, plaintes ou contestations de la part de contrevenants sur des témoins et agents peuvent être exercées.

Non-respect de convocation à une audition libre

Le délit d’obstacle aux fonctions devient applicable, sous certaines conditions, au non-respect d’une convocation à une audition libre. La personne convoquée est ainsi libre de partir mais contrainte de répondre à la convocation.

Non-respect d’une mesure de remise en état

Création du nouveau délit de non-respect d’une mesure de remise en état des lieux occupés par une installation ou un ouvrage relevant du régime d’autorisation ou d’enregistrement.

POLICIERS DE L’ENVIRONNEMENT SAUF DROIT PRIVÉ

Horaires légaux des visites domiciliaires

Désormais, les horaires sont les mêmes que ceux des officiers de police judiciaire : l'investigation peut débuter entre 6 h et 21 h et non plus se terminer à cette heure.

Réquisition aux fins de remise d’informations

Les moyens modernes d’enquêtes conduisent aujourd’hui régulièrement les services de police à solliciter auprès d’opérateurs de télécommunication, ou d’établissements financiers, des documents permettant de faciliter l’identification des auteurs d’infractions (les fameuses « fadettes » téléphoniques par exemple). Alors qu’ils ne pouvaient compter que sur une collaboration volontaire de ces organismes privés ou publics, la faculté de solliciter une réquisition du procureur de la République renforce l’efficacité des enquêtes puisque la non-réponse ou le refus de répondre à cette réquisition sera constitutif d’un délit puni d’une amende de 3 750 €. Les agents mettant en oeuvre cette réquisition pourront désormais poursuivre leurs investigations en autonomie, sans devoir être dessaisis au profit des Officiers de police judiciaire (OPJ) qui étaient les seuls à pouvoir le faire jusque là.

Réquisition à personne qualifiée

Les agents habilités peuvent désormais, sur autorisation du procureur de la République, requérir l’intervention d’experts afin d’effectuer des constatations, des examens techniques ou scientifiques ou des traductions, aux frais de l’administration de la justice, dans les mêmes conditions que les OPJ.

Accès au fichier national d’immatriculation

Ce dispositif facilitera, lorsque le décret d’application sera publié, l’identification des auteurs d’infractions, notamment à partir de données d’immatriculation d’un véhicule ayant participé à la commission d’une infraction, sans mobiliser les services de police et de gendarmerie.

Enquêtes par co-saisine

La mesure clarifie les dispositions existantes du Code de procédure pénale, afin de permettre le recours à une co-saisine des officiers de police judiciaire et des fonctionnaires ou agents des administrations exerçant des missions de police judiciaire, d’office ou sur instruction du procureur de la République. Elle ouvre la voie à une collaboration renforcée entre les agents des polices spéciales et les policiers et les gendarmes, notamment pour les enquêtes qui nécessitent à la fois la mise en oeuvre de pouvoirs coercitifs (notamment la garde à vue) qui ne peuvent être exercés que par les officiers de police judiciaire et des connaissances particulièrement techniques dont disposent les agents des polices spéciales.

Convocation en justice

Cette mesure permet au procureur de la République de faire délivrer des convocations par les policiers de l’environnement, qui pourront ainsi conduire l’enquête de la constatation des faits au renvoi devant le tribunal. Les termes de la convocation devront être élaborés avec le procureur de la République, en veillant à préciser la qualification des faits reprochés avec la plus grande rigueur, afin de limiter tout risque de nullité procédurale.

Augmentation du quantum de la peine pour certains délits relatifs aux atteintes à des espèces protégées et à la chasse (et conséquences procédurales)

La peine d’emprisonnement est augmentée de 2 à 3 ans pour les délits en matière d’espèces protégées (art. L. 415-3 du code de l’environnement) et pour les délits avec circonstances aggravantes en matière de chasse (art. L. 428-4). Outre le renforcement de la répression pour ces infractions, qui seront ainsi plus dissuasives, cette modification du quantum de la peine permet de mobiliser les mesures subordonnées à une peine d’emprisonnement d’au moins 3 ans comme :

  • les perquisitions en enquête préliminaire sans l’assentiment de la personne mise en cause ;
  • la poursuite pendant 48 h de certains actes d’enquête (interceptions des correspondances électroniques, géolocalisation, etc.) en cas d’ouverture d’une information judiciaire ;
  • l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances électroniques (sur décision du juge d’instruction) ;
  • le placement en détention provisoire. Par ailleurs, la transaction pénale (art. L. 173-12) ne sera plus possible pour ces délits réprimés de plus de 2 ans d’emprisonnement.

Étonnamment, dans cette situation, les policiers de l’environnement perdront de l’autonomie gagnée dans les autres situations puisque ces moyens d’enquête ne peuvent être mobilisés que par des magistrats et/ou des OPJ.

INSPECTEURS DE L’ENVIRONNEMENT

Accès au traitement des antécédents judiciaires

Les inspecteurs de l’environnement pourront désormais interroger directement le fichier des antécédents judiciaires. Cette mesure leur permettra de mieux préparer leurs interventions, notamment en visite domiciliaire, par une connaissance plus fine de la dangerosité des personnes, des responsables ou acteurs des structures concernées. Cette disposition nécessite toutefois l’adoption d’un décret pour entrer en application.

Transport sur l’ensemble du territoire national

Alors qu’ils ne pouvaient antérieurement poursuivre une enquête que « dans les ressorts des tribunaux judiciaires limitrophes de la région ou du département de leur résidence administrative », les inspecteurs de l’environnement pourront se transporter sur l’ensemble du territoire national pour poursuivre les investigations liées à une enquête initiée dans leur ressort de compétence, en informant au préalable le procureur de la République du ressort dans lequel ils se transporteront.

SPÉCIFIQUE AUX AGENTS DE L'OFB

Vérification de la détention ou du port ou transport régulier d’armes

Dans le cadre d’un contrôle relevant du Code de l’environnement, lorsque la personne contrôlée détenait une arme, les agents de l’AFB et de l’ONCFS ne pouvaient assurer le contrôle de l’autorisation du port d’armes. Désormais, les agents de l’OFB pourront accéder directement au Fichier des interdits de port d’armes (FINIADA) et vérifier la légalité de détention du port d’armes.

Possibilité de recevoir du juge d’instruction des commissions rogatoires

Les inspecteurs de l’environnement de l’OFB ont désormais la possibilité de recevoir du juge d’instruction des commissions rogatoires3. Cette mesure permet à un juge d’instruction de saisir les inspecteurs de l’environnement de l’OFB, dans les limites de leurs attributions en matière de police judiciaire, pour mener une enquête dans le cadre d’une information judiciaire, seuls ou en co-saisine avec d’autres services d’enquêtes. Le dispositif demeure facultatif, à l’appréciation du juge d’instruction. Les inspecteurs de l’environnement requis par commission rogatoire exercent, dans les limites de la commission rogatoire, les pouvoirs qui leur sont conférés par le Code de l’environnement.

 

(1) Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

(2) Loi n°2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

(3) Acte par lequel un magistrat délègue ses pouvoirs à un officier de police judiciaire, pour qu’il exécute à sa place un acte d’instruction.