Muséographier c’est choisir

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Pédagogie - Animation

Kinga Grzech
Métaphores, conception et scénographie d’exposition

 

Comment s’opère une mise en espace ? Y a-t-il des astuces qui permettent de faciliter l’appréhension d’un sujet par le public et de le séduire…

Si l’on ne choisit pas, si l’on veut tout montrer, on ne montre rien, on se contente d’une simple illustration de texte. Et puis, c’est qu’il ne suffit pas de montrer, encore faut-il faire comprendre, accéder au sens profond. Luc Boucris, L’espace en scène, 19931.
Pour Jean Davallon, chercheur en muséologie, la conception de l’exposition doit tendre à quitter la logique du discours pour basculer dans celle du visuel et du spatial. Difficile parfois quand, dans les musées de société par exemple, les professionnels sont confrontés à des espaces réduits et des budgets de production relativement modestes. Existe-t-il alors des astuces qui permettraient de rendre un sujet attractif, de favoriser sa mise en espace, de séduire un public local mais aussi touristique ?
Cibler un projet
On peut tout d’abord se poser la question du rapport au local, au territoire. D’un musée à l’autre, les réponses diffèrent au point que l’on puisse dire que l’idée d’un caractère propre à un territoire apparaît déjà dépassée. Si, à Saint-Quentin-en-Yvelines, la muséographie pose des problématiques communes aux villes nouvelles, l’écomusée de Fresnes propose des thèmes aux préoccupations plus universelles, du moins à l’échelle de nos sociétés occidentales.
Le point commun, en tout cas, réside dans la volonté d’impliquer le public. Pour cela, plusieurs niveaux de lecture sont proposés. Celui des spécialistes, chercheurs ou acteurs politiques locaux, mais aussi celui du tout-venant, interrogé sur son rapport au sujet. Dans ce dernier cas, le caractère parlé du langage, la spontanéité du propos permettent de capter le visiteur et de l’amener s’il le souhaite vers le discours du spécialiste ou vers le propos défendu par le musée lui-même.
Les muséographes s’accordent sur le fait qu’un musée ne s’inscrit pas forcément dans une démarche didactique ayant pour objet de conduire le visiteur à acquérir un savoir au terme de sa visite. Ils recherchent plutôt un questionnement de sa part, une forme de sensibilisation, d’encouragement à la réflexion personnelle.
Conduire un projet
Du point de vue muséologique, l’évolution du projet se découpe en grandes étapes : après le choix du thème, une recherche documentaire est menée. Ensuite, on procède à l’écriture du synopsis puis à la définition des grands partis pris scénographiques. Ainsi à Fresnes, dans l’exposition Au plaisir du don, le choix a été fait de systématiser un mobilier-colonne, à mi-chemin entre la borne et la vitrine. Il conceptualise la notion de don et se décline en fonction des diverses catégories du don (photo A).
En revanche, dans l’exposition Bons baisers de Saint-Quentin2, la notion centrale du patrimoine de la ville nouvelle est abordée du point de vue touristique. La traduction spatiale de ce parti pris s’exprime de plusieurs manières : sous forme de bornes d’écoutes (photo C), de potelets de mise à distance-supports de textes, ainsi que par la reconstitution d’un car touristique dans lequel le visiteur peut s’installer et regarder une projection vidéo de la ville.
Un parcours peut être dynamique ou au contraire très statique, selon l’angle d’approche choisi à l’origine. On retiendra qu’il est impossible d’appliquer des recettes préétablies car tout doit être en cohérence avec les choix préliminaires.
Le concepteur sonore, Luc Martinez, explique qu’« un parcours doit avoir, comme une symphonie, des moments où on s’ennuie un peu, où on se repose. Il faut créer des lignes de faiblesse, si l’on veut créer des lignes de force ».
Matériel et techniques
Quoi qu’il en soit, l’institution devra se poser la question d’un équipement initial de base. Il sera composé, au moins, de rails d’éclairage (si ce n’est d’un gril technique qui associerait l’éclairage et l’audiovisuel), d’un parc lumière comportant des projecteurs à découpes, destinés à éclairer ponctuellement des objets ou des textes, mais aussi de projecteurs de lumière d’ambiance.
Idéalement, on pourrait compléter ce matériel par quelques réglettes de néons fluorescents, que l’on peut utiliser en éclairage indirect, et qui permettent soit d’augmenter la perception de la profondeur d’un espace restreint, soit de les intégrer dans des caissons lumineux, rétroéclairant des images.
Sur ce point, la démarche de Saint-Quentin-en-Yvelines s’avère intéressante. En effet, les scénographes ont travaillé en amont, avec l’équipe d’architectes chargée d’aménager l’espace de l’exposition temporaire. Leur réflexion a conduit à définir l’équipement lumière et mobilier. Ils ont notamment acheté des panneaux autoportants, type MBA3, qui servent tantôt de cimaises, tantôt de cloisonnement d’espace. Un dépliant géant, déployé dans l’exposition, partitionne ainsi l’espace. Ces cloisons amovibles autoportantes peuvent s’agencer les unes aux autres par un simple système de rainures et de goujons (photo B).
Il s’avère quelques fois intéressant d’utiliser l’image grand format comme élément scénographique à part entière. Elle peut à la fois représenter un palliatif du déficit de documents et jouer le rôle d’appel visuel fort. Ces images peuvent alors être collées sur des cloisons comme à Saint-Quentin ou bien être imprimées sur tout type de support textile, comme les bâches de Fresnes (photo D), pourvu que le tissu soit ignifugé et par conséquent classé au feu M1. Pour permettre à un public particulièrement intéressé
d’aller plus loin dans le sujet, sans surcharger visuellement l’exposition de textes, les scénographes de Saint-Quentin ont régulièrement recours au principe du feuilletoir (photo E).
Agir seul ?
Il est difficilement envisageable de se passer d’un concepteur spatial extérieur. Bien évidemment, les grands partis pris intellectuels, le choix des entreprises après analyse des trois devis comparatifs de rigueur, les recherches iconographiques, les photos, les cartels et même des travaux de peinture peuvent être effectués par une équipe en interne. Toutefois, la logique spatiale, avec les contraintes de gestion des flux, la conception du mobilier, les partis pris d’éclairage, le choix des matériaux et supports de graphisme sont difficilement réalisables sans le concours d’un spécialiste. Sa tâche peut être facilitée si, en interne, les concepteurs sont avertis des contraintes générales de mise en scène et qu’ils expriment leur analyse des problèmes. Le concepteur pourra alors les développer sous la forme d’une métaphore spatiale.

1. Maître de conférence en théâtre contemporain, département des arts du spectacle, université Paul-Valéry de Montpellier.
2. Conçue et réalisée par l’Écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines.
3. Panneau de particules, en élément alvéolaire ou synthétique.