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Espaces naturels n°32 - octobre 2010

Édito

Jean Jalbert
Directeur général de la Tour de Valat - Centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes.

L'année de l’outre mer contient les germes d’une petite révolution. Elle provoque les gestionnaires d’espaces naturels et les interpelle sur la relation que la culture européenne entretient avec la nature.
Nourris par les philosophes des Lumières, les Européens voyaient la nature comme un objet au service de la puissance et du développement des hommes, « maîtres et possesseurs de la nature », à domestiquer, combattre, ou exploiter. Revers de la médaille, ce mythe de l’homme supérieur conduit à penser que nous, prédateurs, sommes aujourd’hui en dette envers une nature malade. Nous devons donc la protéger.
De ce schéma mental résultent parfois des drames. Face aux récents cataclysmes en France, il laisse des gens démunis. Des personnes qui veulent changer de lieu et ne plus revenir ou, à l’inverse, des gens qui attaquent cette marâtre qui vient nous détruire et contre laquelle, encore et encore, il faut lutter.
Dans les terres ultra-marines, les peuples sont héritiers d’une autre pensée. L’homme compose avec les forces de la nature. Il l’accompagne, comme le roseau accompagne le vent. Il n’est qu’à voir comment les Antillais résistent aux cyclones en adaptant leur architecture et leur mode de vie. Ainsi les cases sont érigées pour être reconstruites aisément, plier sans rompre, avec la force souple de la fragilité. Les ultramarins ont développé une science de la résistance qui s’appuie sans fatalisme sur une conscience de la fatalité. Ils attendent le nouveau cyclone, le raz-de-marée, l’éruption, le séïsme, sans les espérer ni désespérer.
Ainsi aux Antilles et à la Réunion, les immigrés venus d’Europe, d’Afrique et d’Asie ont fabriqué une conscience d’un équilibre homme/nature où cette dernière n’est pas un objet. C’est un personnage, ni bon ni mauvais, avec lequel il faut être en dialogue. Et puisque les rapports entre nature et culture ne sont pas basés sur l’exploitation, voici encore qui nous invite à la réflexion : la surexploitation de la nature a été le corolaire d’une surexploitation de l’homme.
Mais Outre-mer, la nature est également une géographie, un personnage actif de l’histoire et non pas un décor passif. Les peuples insulaires ultramarins ont une conscience d’archipel : celle d’appartenir à un même monde, non pas fait de ressemblances mais de proximité. Un monde qui induit l’ouverture et la solidarité (à l’annonce d’un cyclone, toute la Caraïbe se sent concernée). Aussi, qu’on prenne acte du fait que la France est composée de territoires très différents ; de pays avec leurs identités fortes et fragiles. L’exemple de l’outre-mer peut-il nous amener à construire en Europe, aussi, une conscience d’archipel ?
Il convient, en cette année 2011, d’écouter l’outre-mer.