AFRIQUE

Grande faune : trouver un terrain d'entente

 

Espaces naturels n°56 - octobre 2016

Vu ailleurs

Paul Estève

Comité français de l’UICN

La coexistence durable de la grande faune et des communautés locales est-elle impossible ? Les discours sont parfois affirmés en faveur soit du développement des activités humaines soit de la protection des espèces comme si ces enjeux n’étaient pas conciliables. Si la coexistence ne se passe pas toujours sans heurt, des solutions existent.

Grande faune : trouver un terrain d'entente

Briques de piment et de bouse. © ACODED

Bien que les conflits Homme-Faune ne soient pas un phénomène nouveau, en Afrique sub-saharienne notamment, les perspectives de croissance démographique, des besoins accrus en ressources naturelles ainsi que la diminution des habitats naturels ont aggravé la situation. Elles laissent présager le pire pour l’utilisation des espaces vitaux de chacun. 

Les riverains subissent des destructions de cultures et des ravages sur leurs stocks de nourriture, parfois même des attaques mortelles de la part des animaux sauvages. En guise de représailles, les animaux sont souvent abattus par les villageois, voire par les autorités dans le cadre de réponses politisées qui résolvent rarement le problème. 

Ces conflits engendrent une insécurité alimentaire et physique des personnes ainsi que l’échec de la conservation des espèces. La résolution de ces conflits est complexe car elle nécessite une prise en compte à la fois des enjeux de développement humain et de protection des animaux.
Les États africains, souvent limités dans leur capacité à gérer les aires protégées sous leur responsabilité, manquent souvent d’ambition pour s’emparer pleinement de ce sujet. Une partie de la réponse peut venir de la société civile pour mettre en place des actions favorisant la coexistence Homme-Faune.

Le Programme de petites initiatives (PPI) du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) (cf ci-contre) soutient certaines de ces initiatives en Afrique occidentale et centrale. Parmi elles, des projets portés par l'Association – Conseil
pour les actions développement (ACAD) et l'Action concertée pour le développement durable (ACODED) qui travaillent respectivement dans la forêt de Ziama en Guinée-Conakry et autour du Parc national de Waza à l’extrême nord du Cameroun. Malgré les différences liées aux contexte dans lesquels ces deux organisations opèrent, la sensibilisation des populations locales apparaît comme un prérequis à la résolution des conflits entre les hommes et les éléphants. Bachirou Mohamadou, coordinateur d’ACODED, précise que « les communautés locales considèrent l’éléphant comme un animal dangereux et inutile, responsable de la destruction de leurs moyens d’existence », tout en les mettant face à leurs responsabilités : « les gens se sont installés dans les couloirs de migration des éléphants, cultivent à côté des aires protégées des denrées appréciées par les éléphants ».

Watta Camara, présidente d’ACAD, abonde dans ce sens en expliquant à ces communautés que c’est grâce à la présence des éléphants que des financements leur ont été accordés pour le développement d’activités génératrices de revenus, et que des touristes viennent dans ces zones reculées.

Des actions de réduction des conflits peuvent ensuite être mises en oeuvre en empêchant l’accès des éléphants aux villages ou aux champs par l’installation de barrières, de cordes à clochettes ou même de clôtures d'abeilles (faites de ruches et non de barbelés) puis en refoulant les animaux. Pour cela, les deux ONG préconisent l'usage de briques faites d'un mélange de bouse de vache (ou d'éléphant) et de piment. Ces briques sont ensuite disposées autour des champs et enflammées. Cette technique est efficace car les éléphants n’aiment pas l’odeur du piment et leur peau y est également sensible. La fumée et l’odeur du piment brûlé se propagent et les éléphants ne s’approchent alors pas des villages ou des champs. Cette technique a l’avantage d’être relativement facile à mettre en oeuvre, peu onéreuse et aussi d’utiliser des matériaux disponibles localement.

Toujours pour repousser les éléphants, le piment peut être utilisé sous d’autres formes : en huile (pour imprégner des tissus aux abords des champs) ou même en propulsion. Outre ces utilisations, le reste du piment peut être vendu pour l’alimentation. C’est d’ailleurs cette création de revenus qui incite à l’utilisation du piment pour le refoulement des éléphants.
Les projets de résolution des conflits présentés ici concernent la coexistence avec des éléphants mais ces situations s’appliquent aussi à d’autres espèces : lions, loups, oiseaux ou primates (ci-contre).

Finalement, le succès de la cohabitation entre les hommes et les animaux ne repose pas sur une solution unique mais sur une combinaison d’outils adaptés aux contextes locaux (coûts, technicité, espèces...) et basés sur la sensibilisation et l’acceptation des communautés à partager les espaces naturels disponibles avec la faune.

Pour assurer la réussite de ces initiatives sur le long terme, les communautés doivent d’une part bénéficier de la présence de ces animaux avec les revenus générés (notamment par le tourisme) et d’autre part être associées à la gestion des ressources naturelles et à l’aménagement du territoire.