Afrique de l’Ouest

Une gouvernance en faveur des écosystèmes

 
Programme régional de conservation de la zone marine et côtière

Espaces naturels n°21 - janvier 2008

Vu ailleurs

 

 

 

 

 

Avec l’appui de partenaires internationaux et de la société civile, les États d’Afrique de l’Ouest cherchent à enrayer les signes de dégradation de leur zone côtière. L’expérience aura sans doute valeur d’enseignement pour d’autres régions du monde.

L’Afrique de l’Ouest vit une expérience unique. Pour faire face à une situation préoccupante de sa zone côtière (voir encadré), elle œuvre à la construction de réseaux d’acteurs et les invite à collaborer. C’est ainsi que de grandes associations internationales (UICN, WWF, Wetlands International, Fiba) travaillent aujourd’hui ensemble à côté d’instances officielles.
Cette forme de gouvernance environnementale n’est pas née en un jour. Depuis 1986 en effet, divers pays (Mauritanie, Sénégal, Cap Vert, Gambie, Guinée Bissau, Guinée, rejoints récemment par la Sierra Léone) ont cherché à coopérer en créant la commission sous-régionale des pêches. Cette organisation intergouvernementale fut peu opérationnelle ; elle a néanmoins permis de créer le socle d’un réseau régional de planification côtière.
Concrétisé en 1997, ce réseau mettait en selle des acteurs aux horizons divers et débouchait en 2000 sur la signature d’un protocole de collaboration.
En 2002, après une première rencontre régionale des institutions en charge des aires protégées, de la recherche océanographique, de la surveillance maritime, des pêches, des chercheurs, des représentants d’ONG…, le programme régional de conservation de la zone marine et côtière en Afrique de l’Ouest (PRCM) entre en jeu. Ses objectifs sont d’aider au développement de projets de dimension régionale en rapport avec la protection du milieu marin et des populations côtières, de coordonner
l’action des bailleurs de fonds sur ces projets et d’aider à la création et au renforcement de nouvelles aires marines protégées1. Mathieu Ducrocq, coordinateur du programme régional côtier et marin de l’UICN pour l’Afrique de l’Ouest, répond à nos questions.
Vous aimez dire que cette expérience est novatrice…
Ici, dans un contexte de pays en voie de développement, asseoir dans une même salle, régulièrement, les représentants issus de sept pays, de cent cinquante organisations socioprofessionnelles, d’institutions, d’ONG, réussir à engager les gouvernements… c’est absolument unique. Tous ces acteurs font de la planification côtière et réfléchissent ensemble aux liens existant entre les politiques sectorielles à une échelle à la fois transnationale et régionale !
Votre stratégie s’appuie donc sur le développement de réseaux ?
Ils permettent aux différents acteurs de s’approprier la réflexion, l’action, la recherche de fonds. Aujourd’hui le réseau régional des aires marines protégées est reconnu par les instances gouvernementales, mais d’autres réseaux sont en cours de formalisation : un réseau interuniversitaire pour les aspects recherche ; un réseau régional pour les aspects juridiques, études d’impacts, etc. Nous multiplions les leviers d’actions pour que chacun se saisisse d’un pan du programme. Ce type de gouvernance nous confère un niveau de confiance. On observe par exemple que, grâce à la « caution » du PRCM, les bailleurs ne craignent plus de confier des fonds à une ONG.
En fait, vous cherchez à décentraliser
la décision afin que les populations participent à la fabrication des politiques sectorielles.
Il reste encore un énorme travail de communication et d’éducation pour que
les sociétés ouest-africaines soient très conscientes de ce qui est en train d’advenir ; pour que les populations, les députés, les écoles, les radios, soient plus actifs.
Comme sur l’île de Formosa, en Guinée-Bissau, et sur le Siné Saloum, au Sénégal où les deux aires marines protégées sont gérées par les communautés locales ?
Effectivement. Ces communautés sont d’ailleurs à l’origine du classement en aires marines protégées. Elles ont fait une proposition au gouvernement qui détaillait la responsabilité et le rôle respectifs de l’institution nationale et de la communauté locale. Aujourd’hui ces deux aires marines communautaires permettent aux populations, sur la base d’accords de cogestion avec le gouvernement, de se réapproprier la gestion de leurs territoires de pêche.
Dans un tel cas, notre rôle est de permettre aux choses d’exister en appuyant ces communautés dans leur démarche. Nous sommes amenés à dispenser de la formation, à fournir un endroit où se réunir, à mettre une voiture à disposition pour aller chercher les gens dans le village voisin ou encore un secrétaire qui fasse remonter les comptes rendus au siège des ONG, à la préfecture, au ministère. Aujourd’hui, les communautés sont devenues capables de porter des revendications. De plus en plus souvent, d’ailleurs, ce sont les ONG qui trouvent les financements et engagent les recherches scientifiques permettant de vérifier si les témoignages des pêcheurs, agriculteurs, chasseurs… sont fondés et s’il y a effectivement dégradation de la ressource. Ensuite, avec la population, on peut commencer à négocier des règles de gestion des espaces et des ressources afin de les intégrer dans un plan de gestion. Ces processus prennent souvent plusieurs années et ne peuvent venir que de la volonté des communautés locales de gérer leur patrimoine naturel. Même si, pour dire vrai, tout n’est pas si idyllique. Cette démarche se heurte à nombre d’hommes de pouvoir qui ne sont pas encore prêts à ce genre d’idées et de pratiques.

Mais vous avez tout de même engrangé quelques résultats…
La création de dix nouvelles aires protégées ; l’adoption de trois plans d’action régionaux pour les espaces et espèces menacés ou encore d’une convention régionale sur l’utilisation des mangroves. Le forum régional côtier et marin se réunit tous les dix-huit mois pour apprécier les avancées du programme, l’orienter, l’enrichir et faire évoluer une vision régionale partagée de la zone côtière.
En quoi cette forme de gouvernance
est-elle, ici, particulièrement adaptée ?
Les changements de gouvernement sont assez fréquents. Le fait qu’un ministre disparaisse et, avec lui, la moitié des directeurs, ne permet pas de garder une mémoire institutionnelle. Aujourd’hui, les réseaux sont en état d’assurer une continuité dans le portage des dossiers techniques et scientifiques.
Quelle réalité concrète y a-t-il derrière ces mots ?
Je peux vous assurer que c’est très concret. En 2003, par exemple, le gouvernement de Guinée-Bissau signait avec une compagnie italienne la mise en place d’un site de démantèlement de navires dans la réserve de biosphère de l’archipel des Bolama-Bijagos. Les ONG locales et internationales ont fortement pris position, le gouvernement a reculé.
Plus récemment, en Mauritanie, une compagnie australienne voulait produire du pétrole off shore. Elle avait assuré qu’elle suivrait la réglementation australienne en matière d’hydrocarbures – la législation mauritanienne n’était pas suffisamment développée. La compagnie n’a pas joué le jeu : aujourd’hui, elle n’est plus en Mauritanie. Quant au ministre de l’époque, qui avait signé des avenants frauduleux, il a passé quelques jours en prison. Le gouvernement a ensuite promulgué une loi Littoral et demandé à l’UICN de réunir un panel d’experts internationaux afin de revoir la législation sur les études d’impacts et sur l’établissement de contrats pour la production de pétrole avec les compagnies étrangères. Le panel va fonctionner comme une plateforme d’échange entre les compagnies privées, les institutions et la société civile. La Mauritanie a également signé l’initiative internationale de transparence sur les industries extractibles. Vous voyez…, il se passe des choses.
Vous êtes donc satisfait ?
La situation reste préoccupante mais cette coalition de multiples acteurs semble pouvoir infléchir certaines tendances. De son côté, la commission sous-régionale des pêches dispose aujourd’hui de moyens d’action et joue un rôle actif. Mais il y reste cette question clé : a-t-on dépassé le point de non-retour ? Je ne saurais le dire. Certaines ressources marines ont vu leur biomasse diminuer de 80 % au cours des cinquante dernières années et nous avons toujours des interrogations sur la résilience des écosystèmes et sur la capacité de faire marche arrière ; avec tous les risques que cela comporte en matière de stabilité politique et sociale.

Recueilli par Moune Poli

1. La phase 1 du programme régional de conservation de la zone marine s’est déroulée
de 2004 à 2007 avec un soutien financier de la fondation Mava et de la coopération
néerlandaise – DGIS, de cinq millions d’euros/an. La phase 2 court de 2008 à 2012.

En savoir plus
http://www.prcmarine.org
>>> Mél : Mathieu.ducrocq@iucn.org