L’outarde canepetière en plaine céréalière

Une extinction inéluctable ?

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Gestion patrimoniale

Vincent Bretagnolle
Centre d’études biologiques de Chizé-CNRS
Sylvie Houte
Centre d’études biologiques de Chizé-CNRS
 

L’outarde canepetière est fortement menacée. La cause ? La disparition progressive des prairies, au profit des systèmes de cultures annuelles, conduit à un bouleversement paysager. Associant étroitement chercheurs et agriculteurs, un programme de recherche mis en œuvre par le CNRS de Chizé commence par l’acquisition de solides connaissances sur l’espèce. Il se poursuit par la mise en place de mesures agro-environnementales pour restaurer la qualité des habitats.

Les milieux cultivés abritent environ la moitié des cinq cents espèces d’oiseaux se reproduisant sur le continent européen. Or, contrairement à une idée répandue, c’est parmi cette communauté que l’on trouve la proportion d’espèces menacées la plus importante (environ cent vingt-cinq espèces, soit près de 25 %), loin devant les zones humides. Parmi elles, l’outarde canepetière. Sur la base d’enquêtes précises et répétées depuis 1978, on sait que 90 % des effectifs d’outardes canepetières ont disparu au cours des vingt-cinq dernières années. Aussi, dès 1997, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a initié un programme de conservation de cette espèce emblématique des plaines céréalières dans le cadre d’un premier programme européen Life, en association étroite avec le CNRS de Chizé, qui menait depuis 1994 un programme de recherche sur l’écologie des oiseaux de plaines céréalières.
Recherche…
La première étape du programme a consisté à identifier les processus écologiques impliqués dans ce déclin spectaculaire. Sur la base des résultats de cette recherche menée en région Poitou-Charentes, la biologie de l’outarde a été décrite et les causes de déclin des populations des plaines céréalières ont été identifiées : il s’agit d’un déficit de productivité des femelles, qui est environ moitié moindre par rapport à la productivité théorique attendue pour une population stable. Nous savons également à quels facteurs est dû ce déficit de productivité. En premier lieu, environ 40 % des pontes n’arrivent pas au terme de l’éclosion, suite à une destruction engendrée par les travaux agricoles (essentiellement la fauche précoce, des luzernes en particulier). Par la suite, près de trois quarts des poussins éclos meurent de faim, leur nourriture exclusive à cet âge étant constituée de criquets et autres gros insectes : les poussins d’outardes consomment en moyenne deux cents criquets par jour…
Ces deux mécanismes qui expliquent le déclin de l’outarde sont liés à la réduction en surface des milieux prairiaux, réduction qui est tout à fait spectaculaire, et tout particulièrement en région Poitou-Charentes traditionnellement vouée à la polyculture/élevage.
Ainsi, troisième région de France en superficie pour la luzerne en 1989, elle a enregistré un déclin pour cette culture
de presque 60 % en surface entre 1989 et 2002. Si la diminution des milieux prairiaux a probablement réduit la disponibilité des habitats de nidification pour cette espèce, elle a surtout réduit les disponibilités alimentaires. En effet, les milieux prairiaux représentent, pour les orthoptères, le principal sinon l’unique milieu de vie et de reproduction.
Action
Bien que les agro-écosystèmes soient majoritaires en surface, peu d’efforts de conservation sont faits en leur faveur. Néanmoins, il existe des mesures agri-environnementales volontaires, comme les Contrats d’agriculture durable (CAD) ou les Jachères environnement et faune sauvage (JEFS) qui permettent de garantir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, et qui peuvent devenir de véritables laboratoires expérimentaux pour les chercheurs afin de tester les effets d’itinéraires techniques alternatifs. Sur la base de ce constat, les chercheurs du CNRS de Chizé ont engagé, avec leurs partenaires, une vaste campagne d’information et de sensibilisation auprès des agriculteurs (plaquettes, conférences, journées portes ouvertes), ainsi qu’une action d’animation auprès des exploitants. Le but visait à les convaincre de s’engager volontairement dans la signature de contrats garantissant le respect de pratiques agricoles favorables aux outardes sur certaines parcelles de leur exploitation.
Dans un premier temps, ces contrats expérimentaux ont bénéficié des fonds Life. À partir de 2001, des contrats d’urgence pour les parcelles abritant des nids d’outardes ont également été mis en place. Depuis 2004 enfin, grâce au dispositif Natura 2000, une vaste campagne de signature pour des CAD a été lancée par le CNRS et la LPO. En 2004, près de 500 hectares, sur les 21 000 que compte la Zone de protection spéciale (voir encart) ont bénéficié de ce type de contrats.
De la communication à l’animation en passant par la signature de contrats favorables à la biodiversité, l’ensemble de ces mesures a eu un effet spectaculaire non seulement sur le nombre d’outardes présentes mais, plus important encore, sur la productivité des femelles, qui s’est littéralement « envolée », passant de 0,2 poussin par femelle avant 2002 à près de 2 poussins en 2004 (voir figure). Ceci devrait conforter le deuxième programme Life, actuellement en cours, en Poitou-Charentes1.
Ce partenariat probablement assez unique en France entre chercheurs et agriculteurs a montré qu’il était possible de favoriser l’engagement des agriculteurs pour une gestion favorable à la conservation de la biodiversité et d’en mesurer les effets en direct ! n
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>>> Méls :

1. Le projet Life nature 2005-2009 de renforcement des populations migratrices d’outardes canepetières en plaine cultivée est mis en œuvre par la LPO, le Muséum national d’histoire naturelle, le CNRS de Chizé et la Sociedad Española de ornitologia avec le soutien de l’Union européenne, du ministère de l’Écologie, de la Région Poitou-Charentes et du Conseil général des Deux-Sèvres.