>>> réserve naturelle géologique de Saucats

Eduquer au patrimoine géologique

 

Espaces naturels n°3 - juillet 2003

Droit - Police de la nature

Yves Gilly
Conservateur à la Réserve naturelle géologique de Saucats-la-Brède

 

Créée en 1982, la Réserve naturelle géologique de Saucats compte 75,5 hectares et cinq permanents dont quatre animateurs. Pour protéger le site, l’association gestionnaire a choisi d’éduquer le public au patrimoine géologique.

Pour protéger un site, on peut en limiter l’accès ou interdire l’entrée…
Faire la police... c’est ce que nous avons tenté dans les premières années de notre existence. Nous avons procédé à la pause de clôtures sur les sites sensibles dans un rayon de dix kilomètres. Or, dix ans plus tard, nous avons dû convenir de l’inefficacité de notre action : les gens entraient quand même. Pour assurer la police, il aurait fallu surveiller en permanence et pour cela disposer de moyens humains que nous n’avions pas.
L’association gestionnaire a donc pris une autre option, radicalement différente. Nous avons pensé qu’en aménageant le site et en sensibilisant le public nous obtiendrions de bien meilleurs résultats. Cela ne signifie pas que nous ignorons la surveillance, bien au contraire, mais nous ne sommes pas organisés en vue de celle-ci. Notre vigilance s’opère parce que nous sommes continuellement sur le terrain pour faire visiter, étudier, pour entretenir…
Dans la pratique, vous avez supprimé les clôtures ?
Nous avons cherché à mettre en valeur le patrimoine géologique afin que le public puisse le découvrir aisément, qu’il l’apprécie et le respecte. Nous avons nettoyé certains affleurements, certaines falaises, afin qu’on puisse les observer. Ce type d’aménagement ne demande que de l’entretien, mais nous avons également sélectionné quatre sites que nous avons décapés et mis sous vitrine. Nous avons construit des sortes de vérandas de plusieurs mètres carrés, comme des fenêtres ouvertes sur le sol. Des escaliers permettent de s’y rendre. En terme pécuniaire, c’est un aménagement plus lourd, il faut compter entre 10 000 et 20 000 euros pour chaque site.
Votre action porte ses fruits ?
Les gens peuvent voir ce qu’il y a à voir, leur curiosité scientifique est satisfaite, ils ne s’égarent donc pas et la fréquentation se limite à ces sites que nous avons d’ailleurs balisés.
En fait, vous canalisez les visites
Nous tâchons surtout de sensibiliser les visiteurs. Pour cela, nous les incitons à se rendre à la maison de la réserve. Là, nous leur donnons des documents, un plan, nous discutons, nous les informons sur la réglementation et surtout nous leur proposons une visite accompagnée.
Nous leur offrons également une exposition pour laquelle nous avons effectué un très gros travail de bibliographie. Ce que nous voulons, c’est montrer des choses rares et vraiment très belles pour que les gens adhèrent à la protection du patrimoine géologique. Cette exposition est d’ailleurs gratuite : une option qui va dans le sens de notre philosophie. L’an passé, nous avons eu contact avec 7 000 scolaires et 3 000 individuels.
Vous subissez des fouilles sauvages…
Non. D’une part, parce que la réglementation a un aspect dissuasif mais, aussi, parce que d’autres sites existent, non protégés ceux-là, dans un rayon très proche. Du coup, les gens qui ont envie de trouver des coquillages marins de l’ère tertiaire, vont, hélas, fouiller ailleurs.
Sur la réserve, nous constatons un peu de « gratouillage », ici où là, parfois du vandalisme : des vitrines cassées… Nous réparons toujours très vite, c’est une manière de prouver qu’il y a du monde sur le terrain, qu’on ne peut pas faire n’importe quoi.
Nous nous inquiètons aussi des relations de voisinage. Nous devons gérer l’exaspération des habitants, voisins de la réserve, qui voient leur tranquillité entamée du fait des visiteurs.
Vous travaillez beaucoup avec le tissu local ?
C’est l’essentiel, nous travaillons pour que le respect du lieu soit une évidence et que la population s’approprie le site. Ainsi, l’association gestionnaire comprend des amateurs de fossiles et notamment deux présidents d’association de paléontologie locale. Mais, elle compte également des scientifiques, des enseignants, des élus locaux. Au cours des années, nous avons noué des contacts avec les enseignants et nous pouvons dire qu’aujourd’hui, la pédagogie de la géologie se fait dans le respect du patrimoine géologique.
Votre choix d’éduquer plutôt que d’interdire reposait sur l’absence de moyens humains, mais aujourd’hui la réserve compte cinq salariés. Referiez-vous ce choix ?
Sans hésiter un seul instant. La réserve a d’ailleurs été créée dans le dessein de sensibiliser à la géologie. Pour cette raison, nous travaillons beaucoup avec les enfants. Parfois, je l’avoue, il faut encore se battre en interne pour rappeler l’essentiel. Les scientifiques, par exemple, ont tendance à se concentrer sur l’objet de leur étude en oubliant la pédagogie. Mais nous sommes là pour ça.

Recueilli par Camille Prosperi