Dévitaliser des souches de saules en marais tourbeux alcalin

 
>>> Cren Picardie
Méthodes - Techniques

Sébastien Maillier
Conservatoire des sites naturels de Picardie
Rémi François

 

L’envahissement des marais par des fourrés de saules est la hantise des gestionnaires d’espaces naturels. En effet, les souches des saules produisent de nombreux rejets après la coupe. Sur les secteurs déboisés non pâturables et non mécanisables tels les tremblants ou îlots, le Conservatoire des sites naturels de Picardie a donc recherché des techniques efficaces et peu coûteuses pour contrecarrer le saule cendré en évitant les produits phytosanitaires.
En France, plusieurs techniques sont utilisées par les gestionnaires. Certaines ont été compilées (Dupieux, 1998 ; Crassous & Karas, 2007), mais les résultats sont rarement détaillés et parfois non reproductibles en marais tourbeux.
Dans diverses régions, des expérimentations chimiques ont été conduites sur des souches, avec des résultats plus ou moins convaincants. Ainsi, d’après Dupieux, la gousse d’ail a donné de très bons résultats, tandis que d’autres1 préconisent le lait ribot2 fermenté. Le sel de mer n’a semble-t-il jamais été utilisé. C’est pourtant un phytocide puissant, ne posant pas de problème de rémanence ni de toxicité s’il est utilisé en toute petite quantité au creux d’une souche.
Méthodologie. Deux sites d’expérimentation ont été choisis en vallée de la Somme (tests en 2004 et 2005) et à Villers-sur-Authie (test en 2005). À l’automne 2004, soixante-quatre saules de vingt ans ont été coupés au ras du sol. Quelques jours après la coupe, en sève descendante, six techniques ont été mises en œuvre :
- couverture de la souche par deux épaisseurs de bâche plastique noire ;
- brûlage au chalumeau du cœur de la souche pendant cinq minutes ;
- combinaison brûlage et bâche ;
- incorporation de gousses d’ail au creux de la souche, perforée à la tronçonneuse ;
- incorporation de gros sel (plusieurs dizaines de grammes) au creux de la souche perforée ;
- incorporation de lait ribot (plusieurs dcl) au creux de la souche perforée.
À l’automne 2005, un test complémentaire, sur trente et une souches, permettait d’affiner les protocoles en fonction des premiers résultats. Quatre modalités ont été de nouveau testées : sel, bâche tissée (résistance supérieure), ainsi que deux nouvelles techniques, à savoir l’écorçage à la hache et le brûlage de l’écorce.
Au total, quatre-vingt-quinze souches ont été testées. Huit modalités ont été suivies. Onze témoins, issus des mêmes coupes, ont été laissés pour comparaison.
Suivi des résultats. Les suivis se sont déroulés en mai-juin et en septembre, en 2005 et 2006. Principaux paramètres pris en compte :
- taux de reprise un an après traitement (nombre de brins de rejets par souche, exprimé en % du linéaire du pourtour de la souche avec rejets),
- état global de la souche,
- facteurs biaisant le protocole (bâche déchirée, action des herbivores…).
Pour les souches non bâchées, le paramètre pris en compte ne concerne que les reprises vertes.
Analyse. Certains tests sont apparus assez concluants en juin. Cependant, ils ont parfois été suivis de 20 à 30 % de rejets sur le pourtour de souche en septembre. A contrario, plusieurs souches bâchées ont eu beaucoup moins de brins de rejets qu’au départ, du fait de la température extrême sous certaines bâches. Un contrôle rapide en 2007 indique que les résultats notés au bout d’un an sont pérennes.
Le taux de reprise a également été comparé avec celui des souches témoins (moyenne de 50 % environ). Ainsi, les tests étaient considérés comme concluants si la reprise concernait un brin de rejet au maximum, soit 10 %.
Résultats (voir tableau). Quatre modalités ont donné des résultats encourageants (moins de 50 % du linéaire de la souche avec des rejets) : bâchage, brûlage du cœur de la souche + bâchage, brûlage de l’écorce, écorçage.
Le sel n’apparaît pas comme une technique très efficace ; mais les plus petites souches (diamètre < 12 cm) ont présenté de bons résultats. Enfin, la gousse d’ail semble aussi avoir freiné le développement des saules, mais pas de manière suffisante…
Certains paramètres doivent cependant conduire à tempérer ces résultats :
- observation d’une maladie non identifiée (sorte de rouille limitant la vigueur de saules),
- action d’herbivores sauvages,
- conditions de portance du sol et niveau d’inondation hivernal,
- diamètre des souches (plus il est important, plus la souche est vigoureuse),
- problèmes techniques : bâches insuffisamment ancrées ou trop peu débordantes, scarification à la tronçonneuse trop peu profonde, manque de savoir-faire pour l’introduction de certains intrants (sels, lait, ail), lessivage par les eaux…
- l’échantillon-test n’a pas toujours été suffisant (exemple : cinq souches écorcées et cinq brûlées).
Continuer l’expérience. Loin d’être acquis, les résultats demandent donc de poursuivre l’expérience en améliorant les protocoles (perçage plus profond avec une perceuse portative, bâchage méticuleux, bâches plus lourdes…) pour limiter les biais.
Par ailleurs, il conviendra de tester l’écorçage des individus sur pied à plusieurs saisons, avant de les couper. L’hypothèse est qu’un saule mort ou moribond suite à l’écorçage (à l’instar de l’écorçage fait par les ongulés domestiques ou sauvages) ne repartira pas depuis sa souche.
Malgré ces imperfections protocolaires, plusieurs résultats sont intéressants et assez encourageants. Ils montrent que des alternatives à l’utilisation de produits chimiques en zone humide existent. Elles peuvent aussi être adaptées à la dévitalisation d’autres ligneux : bouleaux, aulnes, cornouillers…
Nous sommes preneurs de tout retour d’expérience sur la gestion des rejets de souche.
Point fort. On retiendra l’efficacité du bâchage et l’intérêt de reconduire les techniques d’écorçage, de sel et d’ail puisqu’elles ont montré une efficacité (à améliorer cependant).
Si de telles opérations devaient être appliquées à grande échelle, il faudra prendre en compte les perturbations physico-chimiques et biologiques du milieu environnant.

1. Source : http://fr.groups.yahoo.com/group/Gestionnature
2. Lait battu pour faire du beurre.

En savoir plus
La gestion conservatoire des tourbières de France. Premiers éléments scientifiques et techniques, Nicolas Dupieux, Espaces naturels de France, 1998, 244 p.

http:// www.pole-tourbieres.org