Dannes, Pas-de-Calais

Chablis-volis : quand l’homme crée la tempête

 
quand l’homme crée la tempête

Espaces naturels n°45 - janvier 2014

Méthodes - Techniques

Céline Vidal
Eden 62

Pour fixer les dunes du mont Saint-Frieux, pendant de nombreuses années, la méthode a été de planter des pins. Les paysages du sud de Boulogne-sur-Mer ont ainsi subi de fortes pressions anthropiques qui ont généré des peuplements très denses aux sous-bois très pauvres, un paysage uniforme. Il fallait accélérer le processus naturel de diversifi cation de la forêt : le gestionnaire du site a eu recours à une méthode qui simule une tempête. Les résultats sont là.

La technique de gestion forestière appelée « chablis-volis » a été choisie par Eden 62 pour renforcer l’aspect naturel de la forêt du mont Saint-Frieux. écologique (sans énergie fossile), elle a également pour but de dynamiser la diversité faunistique et floristique. En effet, malgré une faible biodiversité, quelques espèces rares subsistaient, comme la goodyère rampante, la pyrole à une fleur, le monotrope sucepin ou l’engoulevent d’Europe.
La technique, qui induit un déracinement et une chute des arbres au sol (chablis) ou une mort des arbres par fracture des troncs (volis), a permis :
• d’ouvrir le milieu afi n de laisser la lumière se diffuser et ainsi favoriser la production et le mélange d’essences. Ceci a eu pour conséquence de diversifier la structure verticale et horizontale du peuplement pour accroître la capacité d’accueil vis-à-vis de la faune et de la flore ;
• de mélanger les essences grâce à la création d’un couloir entre feuillus et résineux. L’action du vent et le passage des animaux ont permis de jouer un rôle important d’apports, de transport, d’enfouissement ou de mise à jour des graines favorisant ainsi le transfert et le mélange des espèces de feuillus au sein des résineux ;
• de diversifier les espèces faunistiques en leur offrant de nouveaux habitats et une nouvelle source de nourriture grâce à un apport de bois mort.

Une politique réservée aux arbres de moindre valeur écologique

Certains pourraient invoquer le côté trop interventionniste de l’opération ; à notre avis, pas davantage qu’en pâturage domestique puisque cette action n’a d’autre but que de se substituer à un phénomène naturel, du moins de l’accélérer.
Comment provoquer des chablis ou des volis ? Un câble, un tire-fort et, dans certains cas, un câble secondaire, sont nécessaires. La trouée doit être réalisée sur des secteurs légèrement pentus orientés vers le sud afi n que le soleil puisse mieux pénétrer le sol et faciliter ainsi la régénération. De plus, il est préférable d’appliquer cette gestion forestière durant l’hiver afi n de perturber le moins possible la faune présente sur le site. Le choix des arbres qui subiront un chablis ou un volis se fait, le plus souvent, en fonction de leur aspect. Les arbres d’intérêt écologique (essences rares, dimensions exceptionnelles, présence de cavités, de crevasses, tordus…) seront préservés, alors que les interventions seront pratiquées sur les arbres droits de moindre valeur écologique. Selon la hauteur à laquelle est placé le treuil sur le tronc, on obtiendra soit un chablis, une chute de l’arbre avec déracinement, soit un volis, une cassure du tronc en deux.

La grive musicienne est revenue au bout de sept ans

Depuis 2001, des suivis fl oristiques et ornithologiques ont été mis en place pour évaluer l’impact des interventions sur le milieu. Les suivis ornithologiques ont été réalisés selon une méthode adaptée des Indices ponctuels d’abondance. Les relevés indiquent une augmentation du nombre d’espèces ; 13 espèces étaient présentes avant les interventions, 21 sont actuellement recensées, soit une augmentation de 61 % depuis 2001. On constate également que le nombre d’espèces d’oiseaux de la strate arbustive est passé de 2 à l’état initial à 8 après sept ans d’intervention, avec notamment, l’apparition du merle noir et du bouvreuil pivoine dès la première année, du rossignol philomèle, de la fauvette à tête noire après quatre ans et de la grive musicienne après sept ans. Le nombre d’espèces cavicoles a lui aussi augmenté, atteignant son maximum après cinq ans.
La guilde des pics s’avère assez complète. Il est cependant impossible de mesurer réellement la répercussion sur cette population à travers ce suivi, leur territoire dépassant largement la zone étudiée. Enfi n, le résultat est également paysager : à une forêt de pins alignés, nous proposons une futaie irrégulière avec des essences variées, à tous les étages. À présent, il semble que l’homme concède à cet espace la nature qu’il n’aurait jamais dû perdre. Nous considérons que l’emploi de cette méthode n’est rien d’autre qu’un catalyseur.